Ne pas oublier de faire le plein !

Publié par ouhlala le 23.07.2011
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En echo au billet de Méliah, http://www.seronet.info/billet_blog/vacance-ou-vacances-40343 . Je ne sais pas si c'était son objectif mais j'aime assez ironiser sur les vacances de mes congénères et son billet me rappelle un exercice auquel je me suis livré il n'y a pas très longtemps, l'analyse de contenu d'un entretien qui porte sur le sujet. C'était un petit exercice sans prétention mais qui avait été bien noté, ma prof reprochant seulement au style d'être plus proche de Bobby lapointe que d'Emile durckheim...  

Représentations sur les vacances : le cas d'une femme de 28 ans - célibataire*.
Vacance : Etat d'un lieu, ou d'une charge, inoccupé. Temps de repos accordé à des écoliers, des employés. 

Vacances : Vacance de masse. Les vacances, une chose si désirable doit échoir en quantité, en un grand nombre de jours, de semaines, de mois ? N'avoir que quelques jours de congés, pour tout le monde, est-ce vraiment des vacances ? Mais la durée annuelle légale est de cinq semaines de congés payés, c'est un peu court pour passer l'été à la plage... Heureusement car il semble que pour certains, elles tournent à l'ennui si elles se prolongent trop, la désorganisation peut être aussi facteur d'angoisse. La "déshabituation" mènerait-t-elle au "désêtre" ?  Connu comme " vacances ", ce temps de repos, doublement contracté (contractualisé et toujours trop court), pendant lequel s'arrête l'activité régulière et ordinaire est d'abord connu comme " vacances scolaires ", qui marquent le cadencement des rythmes d'apprentissage institutionnels dans l'enfance, l'adolescence et parfois la post-adolescence. Les vacances, connotation ultra positive de cet espace-temps tellement séduisant, dans lequel on se remet à jouer... Dans les mots des adultes, les vacances évoquent l'absence de contraintes, et la recherche de plaisir que l'on trouve, selon les cas, dans le repos ou l'activité tout azimut, dans la connexion à soi ou à un ailleurs, la nature, le dépaysement, etc., ou une combinaison de ces thèmes. S'agirait-il, pendant les vacances, de rompre avec une existence contrainte, fatigante et banale ? De rompre avec un sentiment de fatigue et de monotonie, sans doute, les vacances sont rares, et précieuses. Elles sont faites pour reconstituer la force de travail, ce qui veut dire ce que l'on y cherche aussi (surtout ?), c'est effacer l'empreinte des efforts passés, et trouver les ressources pour faire face aux périodes qui suivent immédiatement les vacances. Car cette vacance là n'est pas faite pour durer..   (suite en commentaire...)

Commentaires

Portrait de ouhlala

A la question qui lui est posée " Les vacances, pour vous, c'est quoi ? La jeune femme dont Laurence Bardin présente l'entretien commence par faire reformuler la question, Les vacances ? Euh... Pour moi... Mon avis sur les vacances... ?  Il y a deux motifs, entre autres, pour lesquels on hésite sur une question, soit on ne connaît pas la réponse, soit elle est tellement évidente qu'on s'interroge sur la question. La deuxième interprétation paraît plus appropriée. En forçant énormément le trait, on pourrait entendre : Les vacances, mais que du bien mon brave monsieur, grand dieu quelle question, c'est bien ça que vous me demandez ? !  Le jugement porté sur les vacances n'est encore qu'une hypothèse, immédiatement confirmé par l'exclamation qui apporte la réponse : Oh !  C'est fantastique bien sûr... Que dire de plus ? C'est presque inutile, tant c'est une évidence partagée : Oui... Euh... Enfin, c'est pour tout le monde pareil, d'ailleurs. Enfin, du moins, je penseOui, euh ! On en rêve... On les attend... Euh, euh... On a beau y penser souvent, aux vacances, se mettre à en donner une définition, c'est plus compliqué, tant c'est une évidence, on pense qu'on en rêve, on pense qu'il faut en rêver...  La jeune femme enchaîne, en précisant l'importance des vacances :  On attend que ça. Elle reprend la main dans une logorrhée de clichés eux aussi bien convenus, le ciel, le sable, le chaud, et encore le sable, les couleurs, les cocotiers, même le ski c'est en couleurs, quand même (Et on peut parier que c'est chaud aussi, le ski) etc.  Même le ski c'est en couleurs quand même... Il n'y a pas à tergiverser, on le vaut bien. En tout cas la gravité de la situation le mérite amplement. Car à entendre cette jeune femme en introduction de cette carte postale, le rêve comme elle le dit, son environnement immédiat est assez déplorable, gristristemalade, avec la crève... C'est maintenant qu'elle attend les vacances, sur le thème de la sensualité, précisément pour remédier au terne et à la dévitalisation du moment, et aux grands maux les grands remèdes. Cette opposition entre l'ici et maintenant, et l'ailleurs et bientôt des vacances ressurgit au cours de l'entretien quand elle oppose le silence au téléphone qui sonne, la grasse mâtinée à la course, les vêtements, les attitudes et les sourires contraints à l'état de nature, la responsabilité des factures à tailler la route... Les vacances, c'est le changement, et la fin de toutes ces agressions, changement de tête, de coin, d'habitudes, de pays, d'activités, de niveau au tennis... 

Portrait de ouhlala

Cette première partie de l'entretien est consacré à l'image idéale des vacances. Pour cette jeune femme, les vacances, c'est changer d'allure et d'habitudes, de corps et de monde pour ainsi dire. A la fin de cette première partie, elle revient au quotidien, en ville, pour constater combien elle se sent guindée, serrée, dans un carcan étouffant. Les vacances sont un changement de mode de vie, on vit plus sainement en vacances, (...) on court, on rit, non contraint et spontané, sans avoir à porter ni vêtements, ni masques, ni rôle convenu : En ville, il faut porter des vêtements, porter des... J'allais dire des sourires. Un changement de mode de vie et un changement d'état d'esprit vers une sorte d'état de nature. 

Les vacances, quand on était enfant, alors ça c'était des vacances. La figure de l'enfance apparaît, état présumé sans contrainte (...), pendant lequel la spontanéité, le libre-cours et le laisser aller sont parfois davantage tolérés. Travail et sélection de la mémoire, et croyance en un ailleurs idéal qui faute d'exister, doit pouvoir avoir existé un jour et être retrouvé. Et une image convenue de l'enfance, c'est qu'elle profite spontanément, grandit, apprend, s'amuse presque toute seule... Un point commun entre le travail et les vacances, c'est que l'un et l'autre doivent profiter... Parce qu'il faut bien le dire, quelquefois, on est déçu. Le changement fait intervenir une part de hasard. Les vacances deviennent un déplaisir dans les exemples qu'elle évoque dans la deuxième partie : choix d'un mauvais lieu, trou (...) sinistre, ou des mauvaises personnes, quoique les vacances peuvent réserver de bonnes surprises, de nouveaux amis, l'âme sœur.  On sent dans l'histoire de la bonne copine l'expérience vécue. Est-ce qu'on n'attend pas trop parfois des bonnes copines aussi ? Dans tous les cas, il y a rencontre, mais pas toujours celle souhaitée : C'est le poker.

Les vacances, au contraire des cartes postales, mais comme les cartes à jouer, sont imprévisibles. Quid de la carte routière ? Rappelons seulement qu'elle n'est pas le territoire.

Les thèmes auxquels cette jeune femme recours dans sa définition empruntent au discours commun, combinaison de changement, de sensualité, de nature, d'absence de contraintes, de rencontre avec un ailleurs et l'autre. L'entretien est parcouru d'une opposition entre le monde urbain ordinaire, la ville angoissante, et l'ailleurs que constituent les vacances, surtout quand elles sont fantastiques.... 
Hormis cinq ou six utilisations du je dans des énoncés tels que je pense, je veux dire, j'allais dire, on peut distinguer deux autres groupes d'occurrences, qui renforcent l'opposition entre  un ailleurs réconfortant et l'existence quotidienne de la jeune femme :

- deux occurrences groupées : j'aime bien découvrir des choses et un pays que je connais pas, la découverte d'un pays inconnu est peut-être une expérience personnelle. 

- six occurrences (dont un moi et un me) réparties dans l'entretien, toutes liées à des sentiments éprouvants, et plutôt au quotidien : ça me fiche un peu la frousse, moi ça m'angoisse toujours un peu, j'ai horreur, j'ai pas l'impression de pouvoir respirer à fond, je fais toujours ça en panique,  je me sens serrée. 
Tout au long de l'entretien, elle s'exprime beaucoup avec le pronom indéfini on. A la fois neutralisation du discours personnel et affirmation, on peut le présumer, du caractère collectif de la question. Les vacances, aussi populaires que le front du même nom, sont aussi l'affaire de chacun. Il n'y a pas de droit de l'homme aux vacances, comme il y a un droit au travail ou à la liberté de penser. Pourtant, le travail, c'est fantastique aussi, mais en plus ce n'est pas " une préoccupation de fainéants ". Seulement voilà, les vacances n'existent qu'en dépendance d'un ...travail (j'allais dire aliénation).

Jour de vacances, jour des fous ?
La deuxième partie introduit l'autre opposition structurante : les bonnes et les mauvaises vacances. A ce titre, ça m'angoisse toujours un peu... avant. Et possiblement pendant. Car, les vacances, comme le travail, appartiennent à la même existence. Vacances et travail sont les éléments structurant du mode de vie concerné, sont la même existence. En tout cas, une existence nécessairement pourvue de son facteur anxiogène principal : l'incertitude, l'imprévu, à la fois poison et ingrédient de la découverte et du rêve. 
Dans cet entretien où les vacances relèvent d'un équilibre entre hasard heureux et imprévu redouté, entre improvisation et organisation, exigence de profit et exigence de rupture,  les vacances semblent tout un travail ou tout un art. 

* Entretien tiré de Laurence BARDIN, L'analyse de contenu, PUF, 1977, pp99-101.    

Portrait de ouhlala

Ci-dessous l'entretien en question, tiré de BARDIN L., L'analyse de contenu, Paris, PUF, 1977 pp.99-101.

   - Les vacances, pour vous, c'est quoi ?

   - Les vacances ?  Heu... Pour moi... mon avis sur les vacances...?

   - Oui, oui, les vacances, pour vous, ce que ça représente ?

   - Oh, c'est fantastique bien sûr... Oui... Heu... Enfin, c'est pour tout le monde pareil, d'ailleurs. Enfin, du moins, je pense. Oui, euh ! On les attend... Euh, euh...

   - Oui, on les attend...

   - Ben oui, on n'attend que ça. Du moins à certains moments. Par exemple, maintenant, c'est gris, c'est triste, tout le monde est plutyôt malade, avec la crève... Eh bien pour moi les vacances, c'est tout en couleurs. Du bleu, ma mer, le ciel. Et puis le sable, tout doré. Chaud, c'est chaud. Le sable chaud. Et puis les cocotiers (rires)... Enfin, c'est un peu carte postale ce que je raconte. Mais c'est ça, quoi ! ... Le rêve. Même si c'est le ski c'est en couleurs quand même. Bleu, soleil, blanc... mais du blanc qui brille, les gens bronzés, gais. Voilà.

   - Pour vous, les vacances c'est les couleurs... 

   - Oh ! mais pas... Aussi... Euh... On fait rien pendant les vacances. Je veux dire pas de travail. Plutôt on fait ce qu'on veut pour le plaisir. Pas de contraintes. On se lève à midi. On traînasse. C'est pas la course.

   Et pas de bruit. Pas de télephone qui sonne. Calme. le silence. Enfin... Oui. Bon. Euh ! ça c'est surtout bien pour les premiers jours. Car il ne faut pas s'ennuyer non plus. En fait... Euh... Euh... Non... il faut changer. Les vacances, c'est le changement. On change de tête, de coin, d'habitudes. On voit autre chose. Moi j'aime bien découvrir des choses pendant les vacances. Bon, ça peut être un pays que je ne connais pas, ou bien aprendre à faire de la poterie... Ou... Je ne sais pas moi... perfectionner son revers avec un stage de tennis.

   Mais surtout, tout laisser tomber. La valise, hop! et c'est fini. Plus de factures, plus tous ces gens qu'on connait trop. Autre chose quoi. Plus faire toujours les mêmes gestes. 

   Et puis en général, ben, on vit plus sainement en vacances, plus près de la nature. En ville, il faut porter des vêtements, porter des... J'allais dire des sourires. Moi, je me sens serrée, guidée, en ville, pas à l'aise. J'ai pas l'impression de pouvoir respirer à fond. En vacances on court, on rit, on se dépense. Comme des gosses. Peut-être que c'est ça les vacances... Enfin, moi, c'est comme ça que je les ressens... l'innocence... tout neuf... ! les vacances, quand on était enfant, alors ça c'était des vacances.

   Parce qu'"il fait bien le dire, quelquefois, on est déçu. Faut les réussir les vacances. Parfois on est tellement crevé qu'on n'a pas le courage de les organiser. Ou alors, on avait prévu quelque chose et bon... ça foire... Ouais, ça rate. les gens avec qui on devait partir, y veulent plus venir. Ou bien, on prévoit de partir avec quelqu'un... on organise... et au moment de partir on s'aperçoit qu'on à plus envie de partir avec ce type. Ou bien... on part avec une copine, une bonne copine... On s'entendait bien avec elle... Sympa... marrante... et hop, pendant le voyage, c'est un monstre d'égoïsme. Ou bien on s'aperçoit qu'elle panique dès qu'il y a un pépin.

   En fait, on ne sait pas très bien ce qu'on va trouver pendant les vacances... C'est le poker ! On peut découvrir... se faire de nouveaux amis... rencontrer l'âme-soeur (rire). Ou bien... Euh... Euh... rien, le trou... l'ennui. Ou les ennuis. Ca fiche un peu la frousse avant de partir. Faut pas rater son coup. des vacances ratées, ça peut être sinistre. Oui. Euh. Euh... 

   - Oui... Oui... Ca peut être raté des vacances...

   - Oui, et moi ça m'angoisse toujours un peu... avant. J'aime bien partir... mais en fait... Euh. Euh. par exemple j'ai horreur de préparer ma valise... Alors ça... Vraiment horreur... Je fais toujours ça en panique au dernier moment. Comme ça, sur un coup de tête... Je pars arpenter le désert. Enfin ça je ne l'ai pas encore fait, mais je compte bien le faire un jour. Et puis, en général, ça me réussit bien, l'impromptu (rire)