Que dire ?

Publié par balwin le 19.02.2012
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sinon qu'il sait que personne ne viendra le chercher, qu'il n'y aura pas un regard plus appuyé que les autres, qu'il ne sait pas que le soleil va éclairer un chemin qu'ils auraient pu faire à deux, tout les prédestinant l'un à l'autre, comme dans un ordre naturel. Mais ils ne font que se croiser, se saluer peut-être, se sourire, de ce sourire qui est fait à l'intérieur de soi de peur de ne dévoiler une mauvaise dentition, des dents colorées par l'addiction, une haleine tributaire du désir de l'autre ; la honte, surtout la honte, d'oser dévoiler une joie aussi fugace que l'effervescence de ces si premiers, autant que le sont les premières neiges, rayons de soleil qui réchauffent un froid qui s'éternise, de toujours et à jamais enlisé, entre ces deux-là qui baissent les yeux. 

C'est trop tard, ils se sont croisés ; ni l'un, ni l'autre ne se retournera ; ils sont bien trop à la recherche de ce père, ce bon père, qui a existé le temps d'une sortie en mer, par un temps qui grossissait, les vagues déjà animées d'un mouvement dont le vent, imperceptible aux humains, n'est peut-être pas à l'origine.

Quelque chose de plus profond, à peine tangible, juste un ressenti perçu avec de puissants psychotropes -rarement, mais parfois- ou du fin fond de la folie, de la suavité ou du vice de l'enfance, hante les hauts-fonds.

Le capitaine le prend dans sa petite cabine, il a senti que l'enfant frémissait, percevant les dangers qui bientôt rejouerait en bourse la vie de marins. Il l'a pris. Cela est ou a été imaginairement érotisé. Désormais, toute sa vie, il recherchera cet homme qui ne pouvait exister que dans ces coordonnées-là ; le trouvera cependant dans quelques rares étreintes, l'une d'elle, plus longue, plus prometteuse, lui brisera à jamais un coeur trop lourd.

L'absence n'a plus de visage, mais l'absence est là - le gouffre n'est jamais très loin.

Un vêtement venu du lieu le plus sacré du Moyen Orient, parfois, lui remémore la force de ce corps façonné par l'Afrique qui le remplissait. Sa soie n'est plus soyeuse, le tissu a été râpé par l'ennui, l'attente et les saisons qu'il ne discernait plus.

Ca n'est pas qu'il soit arrivé quelque chose car rien n'est vraiment arrivé : il ne fait jamais que croire qu'un être a donné au cuir une odeur, qu'une force l'a protégé, un temps ; un temps éphémère, comme tous les temps balisés, bornés de passion d'homme.

Et c'était il y a bien longtemps.

Il a mal. Il a toujours eu mal.

Il a peur. Il a toujours eu peur.

Oh, peur de tout, mais, au fond, il a toujours eu peur de la même chose.

La douleur, l'incertitude de ses gestes - sinon celui qui, comme téléguidé, l'effacera comme il sacrifiera aux règles, le cloisonnent, l'enferment, refroidissent la brique chauffée à se déliter, déposée au fond du lit, emmaillotée de papier journal dans les décombres d'une guerre sans fin au nord de la nation dont il ne s'est jamais senti l'appartenant, européaniste avant l'heure, sinisant en son avant-temps, par erreur et horreur des modes.

Il n'est point de brique pour réchauffer une telle âme déchirée, fracassée, comme d'un navire les passagers, remplis de la joie d'un nouveau-monde, brisés par l'arrogance. 

La plume s'est tout à coup enflammée pour décrire cet être vulnérable qui n'est déjà plus.

Nul regard ne s'est levé. Qu'importe ? l'on ne vit pas de faux-semblants, ni de faire semblant.

Y eût-il eu un regard plus appuyé, des bras solides, il s'y serait sûrement arrêté ; il y aurait même eu une lumière, vacillante et peu confiante, certes, dans ce regard qu'il fut sur ce monde, car - n'a-t-il pas su voir, a-t-il au moins été un regard ; a-t-il essayé de négocier entre ce moi, le monde et ce que l'on en dit. Négociation hasardeuse, négoce peu heureux, commerce inabouti.

Il y avait, forcément il y avait, là, quelque part, un autre homme, dont il n'aurait pas fait que croiser le regard, quand c'était trop tard ; un autre homme qui aurait aimé sa fragilité, sa manière si féminine, ou très humaine, de se donner, de se glisser dans le grand corps, somme toute cette manière qu'ont les hommes de se glisser dans le giron d'une femme quand ils ont peur.   

Passant outre ces catégorisations sociales, la reconnaissance des sexes, il s'ensevelit peu à peu dans des nuances aussi originelles que peuvent l'être avoir froid et avoir chaud, être sec ou être humide, frissonner ou transpirer, comme lorsque l'on aime, adulte.

Le chemin s'estompe. Cet autre au regard de désarroi a été frôlé, mais pénétrés du même mal, ce dernier clin d'oeil de la vie a été vu comme une ironie, non comme une offrande au coeur défaillant, au corps défendant une dernière fois son territoire, acquis si chèrement.

Est-ce bête, ils ne se sont pas vus ; ils n'y ont pas cru. Alors, chacun va son côté, son chemin - son chemin, oui ; l'un vers l'ombre pour ne plus avoir à vivre un nouveau printemps, l'autre vers la lumière qui s'installe, aveuglante et désespérante - car chacun d'entre eux, à sa manière, confond l'ombre et la pénombre, le jour et la nuit, la lumière et l'obscur, la mer et la terre.

Ils n'en peuvent plus d'avoir essayé de discerner, d'avoir fait tant d'efforts pour n'être récompensés que par l'orgueil d'un monde auquel ils n'entendent rien.

Il est de ces êtres ainsi faits, ainsi fabriqués qu'ils confondent toutes choses, voient trop mal ou trop bien, font trois petits tours et puis s'en vont.

"Le sida, ce phénomène étrange qui a rongé nos existences, a nourri la peur en la représentant, représentation presque à mi-chemin entre l'espérance d'une raison et l'horreur de se sentir totalement exposé, dénudé parmi des êtres habillés, comme dans un mauvais rêve", se dit-il machinalement.

On ne le voit plus sur le chemin : il s'est couché dans un fossé ; déjà il fertilise la terre d'un goût particulier - Qu'importe encore ? l'essentiel n'était-il pas que ses tourments en finissent, qu'ils se réoriginent, que lui s'oriente enfin vers quoi nous tendons tous ?

Il est apaisé.

Il n'a plus mal.

Il n'a plus peur.

"Fût-elle démence, fût-elle innocence, nul ne le saura jamais, elle est morte désormais. Elle est morte au petit-jour d'avoir trop aimé d'amour."

L'autre n'est plus qu'un point. Le soleil fait briller le fer de la voie ; un mirage ? il s'y couche et la locomotive dévore l'anti-héro, ce personnage nécessaire aux familles, nécessaire au Monde pour qu'ils soient.

Il n'est pas un sacrifié : il est soulagé désormais.

Auraient-ils pu se voir ? A se fondre dans la terre ou à être mordus par le métal aurait-il été possible de substituer une scène où ils se seraint fondus l'un dans l'autre et auraient mordu le vivant ?

C'est trop tard maintenant.     

Commentaires

Portrait de jean-rene

Bouleversant; tout simplement.
Portrait de alsaco

dimanche soir la journée se termine   il ne se passera plus grand chose. la gamelle du chat est prete , mon repas également . 

tout ce qui a été emmagasiné aujourdhui va  rembourrer mon vécu . hier est passé  reste le sommeil où les images vont se succèder .

le soleil est revenu  : nouvelles projections nouveau défi .

mais le corps se traine maintenant , s 'accroche a quelques souvenirs et différents mécanismes .

je vais continuer comme je le fais depuis si longtemps . le meilleur est derrière !!

L intensité ne peut guère se régénérer.

Le désir s  'atténue mais ne veut pas abdiquer . 

il m 'entrainera irrémédiablement vers de  futurs remakes.

La vieillesse rode mm si les comparaisons  m 'apportent encore quelques  jubilations .

j 'ai abattu l 'immense yucca du jardin qui me faisait tant d 'ombre et interdisait a d 'autres vies de proliférer . La situation et la vue sont claires.

Les outils de la destructions sont reposés .

a demain  

Portrait de tessanne13

Sommes nous fait pour etre heureux, trop compliqués, exigeants, fragiles, sommes nous de cette espèce que vih ou pas nos vies auraient  été amplies de nos états d'ames ?
Portrait de filigrane

Ton texte bouleverse effectivement, parce que, obscurément, on sent qu'il dit une vérité très profonde sur notre condition d'être humains séropositifs dans le monde d'ajourd'hui, face à la peur, à l'âge, à la solitude fondamentale. Il est si beau, si dense, si inépuisable que ce n'est pas mon intelligence qui le reçoit, c'est vraiment quelque chose de plus profond. Je le comprends et en même temps il me résiste, je sens qu'il dit la vérité et elle reste insaisissable. Il me la met (je parle de la vérité.... :-)) sur le bout de la langue. J'admire le courage que tu as d'aller si loin dans l'analyse. Je ne crois pas que j'aurais cette force.
Ce qui me touche aussi, c'est qu'on soit plusieurs à être touchés. Jean-René, Alsaco, Tessane... et sans doute d'autres. Si on a réagi c'est qu'on a quelque chose en commun. C'est un réconfort pour moi. C'est même un peu une forme de joie. 

Salut camarades.  
Portrait de Nadicar

Ton texte, comme d'autres auparavant, me touche. il me touche par des voies directes, immédiates... celles de mes émotions, je crois, bien différentes de celles du savoir et de la connaissance.

Tes mots et tes pensées agissent comme autant de maillets qui viennent frapper les cordes de ma sensibilité.

Moi non plus ce n'est pas mon intelligence qui les reçoit (je pense à ce qu'écrit Filigrane), à tel point qu'il me faut la convoquer pour comprendre comment et en quoi ils me touchent. Elle est en quelque sorte secondaire.

Et c'est troublant.

Bien amicalement à toi, bien amicalement à tous..