TGV

Publié par balwin le 08.10.2011
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Paris - Marseille.

Trois heures qui vous mènent de nulle part à partout, du singulier au duel, du duel au pluriel, en passant par Aix où s'affrontent et s'entendent les Ecoles.

Phrase alambiquée qui ne dit pas Notre Dame de la Garde illuminée la nuit, la montagne qui veille, encercle, protège.

Le Frioul, un bateau, plein de bateaux. Le Vieux Port.

Un restaurant maghrébin, si bon, en plein émoi révolutionnaire : le petit écran nous abreuve d'images : "Tu comprends un peu ?", dit-il.

Le Petit Nice, la Corniche, l'Estaque, récits de J.C. Izzo pour de vrai.

Non, pas le Panier, il faut en être respecté ou y être né, je ne sais pas ; je ne perçois pas le danger, je suis avec lui.

"Et le provençal, tu ne t'es jamais intéressé au provençal ? ", il dit.

Non, j'y ai préféré nos sonorités plus gutturales. 

Du Frioul, une pierre j'ai gardée qui en toise une autre venue du Touquet ou du Blanc-Nez celle-là. La grisaille parisienne n'est pas venue à bout de sa luminosité.

"C'est naturel ou ce sont les hommes qui l'on fait ?", il rigole.

Le Cap Canaille.

La route entre Cassis et Marseille, le soleil couchant qui caresse la montagne ; pour moi, c'est la montagne.

Impossible de dire cette lumière, il y a du rose, mais, non, elle est indicible. 

Obscurité dans le car, ma main dans sa grande, belle et forte main ; il sourit, je crois qu'il est content.

Cette main qui, un jour, un soir, une après-midi ... Et puis, non, je ne le peux dire, mais j'en garde le souvenir, le goût, l'odeur et la texture, parfois comme une cicatrice, parfois comme la fierté de lui avoir appartenu.

Ne vous en déplaise, j'y ai été heureux et y ai conçu le plus beau rêve de mon existence :

Notre-Dame m'avait guéri comme cette amie schizophrène la statut de Sainte-Anne, dans les jardins de la folie, à Paris.  

Ou était-ce ce mouvement recouvré, cette mobilité à nouveau possible, la mer partout présente, nos pieds qui se caressaient ?

Port merveilleux d'où jadis mon père s'embarqua pour une guerre à laquelle il n'entendait rien. je n'ai pas retrouvé trace de cette abjection historique, comme souvent l'Histoire maquille les faits. J'ai trouvé, rencontré une ville qui s'ouvre, se donne et se retient.

La mer, oui, partout présente, où je me suis lové un jour de mois blanc.

Jouer sur les rochers, protéger sa cicatrice du soleil, incapable de guérir ses plaies, mais boire tous ses sucs, s'en enivrer.

Il n'y a pas que treize années pour réparer une blessure d'amour : il y a la recontre d'un homme à l'aune de vos désirs.

"Taxi, gare de Lyon !"

Mais non, je ne martyriserai plus le petit jardin de mes coups de rateau maladroits ; je ne caresserai plus le Katzala ; il ne mettra plus d'huile aux vertus incertaines sur mon Bichala ; il ne m'appellera plus Schatzala.

L'histoire, plus petite celle-là, ne travestit pas les faits ; ils sont là dans mes souvenirs, "dans mes rêves d'enfant" aussi, sûrement.

Je sais seulement que je n'avais plus peur la nuit. 

TGV

Marseille-Paris

La Provence s'estompe, le paysage se brise en un endroit impalpable, presque intangible, en un instant, il faut rentrer : Noli me tangere c'est lui, c'est moi.

Cette fois, nos peaux se sont trop bien entendues, ou trop mal ; nous ne le pouvons tolérer. C'est un déchirement en dépit d'une fleur offerte, arrachée à l'été qui vient, toujours sise entre deux pages d'une littérature qui m'occupait en ce temps-là.

Il y a à Notre-Dame de la garde un petit tableau consigné dans ma mémoire, un petit tableau parmi quantité d'autres, comme une évocation par Hélène Schjerfbeck de sa maladie d'enfance, là où il est question de fleur.

Car notre maladie remonte à ce moment-là de notre enfance. Une maladie que notre jouissance a absorbée, presque annulée jusqu'au moment où elle a fait retour.

Le mot guerre et les abus subis dans une confusion ferenczienne, réels ou fantasmés - finalement toujours vrais, nous ont fait redouter de perdre les limites qui assurent l'étanchéité de soi.

Non, je ne l'emboucanerai plus, mais je ne ferai jamais non plus une négation de ces quelques faits qui constituent tout un pan de mon histoire si pauvre en événements. 

Je remercie aussi Marseille de m'avoir aidé à surmonter des deuils successifs quand je fus si longtemps prompt aux réactions anaclitiques.

Si dépourvu de foi que je sois, je dois quelque chose à ces cierges que nous allumâmes ensemble.

Sans être en dette, ni obéré, toute ma reconnaissance va à ce cicérone, à l'amant, à l'ami et à la beauté phocéenne car nous nous trouvâmes aise de dormir l'un contre l'autre.

C'était un soir en juillet quand l'été s'imprègne d'hiver. 

Cette conjonction astrale m'a déterminé aussi sûrement que Marseille a répondu à mes attentes.

"Je savais que ça te plairait ; c'est pour cela que j'ai voulu que tu viennes."

Oui, cela m'a plu, il avait bien remarqué de quoi étaient pétries mes attentes.

Face à tant de beau, il ne faut concevoir aucune nostalgie, aucune rancoeur ni de ressentiments.

"Ca, personne ne pourra nous l'enlever."

Commentaires

Portrait de Ferdy

Très beau texte.

Et je connais si bien Marseille, vaguement l'amour et plus encore le charme du TGV. 

Ce fut un vrai plaisir, triste comme la ville, comme la vie, palpitante.

Parfois, on a envie de dire merci. C'est plus agréable à prononcer qu'aucun autre mot. Dans toutes les langues.

Bien à toi,

Ph.

Portrait de Aixois13540

C'est sublimement écrit !!!!!!!

Très très beau

Chapeau bas !

Un poète 

Portrait de balwin

Je suis très touché par ce que vous m'écrivez, preque bouleversé.

Le mérite revient surtout à cette ville fée et son écrin, 

à l'homme qui m'y a guidé et aimé.

Merci encore.

P.