As-tu pensé à fermer le gaz ?

Publié par Ferdy le 19.02.2011
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Généralement, quand nous partions encore en famille vers quelque endroit reculé, ma mère posait cette question angoissante, à 300 km du lieu de départ afin, peut-être, de tester les capacités de résistance de l'homme qui lui servait de mari et, accessoirement, pour mon frère et moi, de père.

Une fois, je me souviens que nous sommes rentrés dans un appartement parisien totalement inondé, car à la suite de fermetures et d'ouvertures incontrôlées, après une banale panne de secteur, l'un avait fermé quand l'autre pensant corriger une négligence avait rouvert les robinets d'une baignoire qui avait transformé notre nid douillet en petite piscine charmante.

Comme devant tout petit drame d'ordre domestique, je m'étais réjoui du désordre qui faisait flotter les tapis, anéantissait le système électrique, endommageait le mobilier, me permettait de patauger jusque vers ma chambre presque dans l'extase. Je devais avoir cinq ou six ans à peine. 

Ma mère, qui hésitait entre la catastrophe et la crise de nerfs, fut assez consternée de me trouver assis dans l'eau sale, l'air réjoui, me demandant si cela me faisait plaisir.

Je crois pouvoir dater de cet instant l'incompréhension réciproque qui fut la nôtre. Elle me dévisagea dans l'obscurité insolite qui régnait encore dans l'appartement, pour me demander si j'en étais satisfait. Lui ayant répondu que je n'avais jamais connu un si parfait bonheur, elle alla trouver le père afin de lui signaler que le cadet n'avait pas toute sa tête.

Après qu'il fût décidé que le père était très certainement à l'origine de ce dégât des eaux, à chacun de nos départs, ma mère inspectait les arrivées de gaz, les robinets des salles de bain, les circuits électriques. Même l'employée de maison fut contrainte d'apporter ses seaux d'eau pour arroser les pauvres plantes minables qui tentaient de décorer ces salons insipides.

Mais la question, en voiture comme en avion, revenait sans cesse :

"As-tu pensé à fermer le gaz ?" 

Il y a des moments, comme ceux-là, où l'on rêve de noyades et d'explosion massive.

Commentaires

Portrait de badiane

c est un peu con voire facile comme analyse mais n'y aurait il pas de l'eau dans le gaz avec votre ou ta mère?

miss marple

Portrait de jean-rene

Je suis un peu comme ta mère. Je me rappelle avoir fait 40 km pour revenir chez moi à Toulouse, dans l'angoisse de n'avoir "pas fermé le gaz", alors que j'étais parti faire un magnifique ballade à Saint-Bertrand de Comminges dans les Pyrénées.

Il faut dire que ma mère était aussi angoissée que la tienne mais, moi, j'avais récupéré sa folie.

Portrait de Ferdy

nos névroses sont souvent héréditaires,

je comprends le réflexe qui consiste à vérifier le minimum, mais lorsqu'il s'agit d'une préoccupation obsessionnelle, ça devient carrément invivable, 

en réaction, j'ai voulu afficher une certaine distraction, qui prenait sa source sur ce comportement angoissé, ce qui était donc tout à fait factice ;

quant à l'eau dans le gaz, badiane, tu n'as pas tort, lui préférant désormais l'eau gazeuse...