Un père

Publié par jean-rene le 03.11.2017
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J'avais 40 ans. Mon père avait décidé de quitter Paris où j'habitais. Cette décision m'avait incité, quelques mois plus tôt, à avoir (allez savoir pourquoi !) ma première expérience homo.

Trois jours auparavant, je l'avais accompagné pour son emménagement dans sa nouvelle maison des bords de mer où il comptait passer sa retraite.

Nous étions le 25 décembre. A 8 heures du matin, je reçus un appel de son  voisin : mon père venait de mourir dans la nuit; il était cardiaque depuis longtemps et avait fait un premier infarctus trois ans auparavant; sa mort prématurée, à 64 ans, était donc prévisible.

Je rejoignis dans la journée sa seconde épouse, éplorée, dans leur toute nouvelle maison. Il était resté allongé, tout habillé, dans sa salle de séjour. Il était grand et lourd. Quand les croque-mort vinrent avec le cercueil, je dus les aider à le soulever pour l'y mettre, et le pris par le fondement, geste d'une violente intimité, à l'égard de celui qui rechignait à ce que je l'embrasse.

Il n'avait pas eu le temps de déballer la vingtaine de caisses que les déménageurs avaient amenées et qui contenaient des papiers entassés depuis plus de 40 ans.

Exhumer ces papiers me permit de me plonger dans l'histoire de ce père dont je fus séparé par ma mère alors que j'avais un an et demi, et que je revis deux fois par mois et la moitié de mes vacances après leur divorce, jusqu'à mes 18 ans, puis régulièrement, selon ma propre décision.

Il n'était pas certain d'être mon géniteur et cela se ressentait dans la distance qu'il prenait à mon égard. Il fallut qu'il constatât à quel point mon fils aîné lui ressemblait, pour qu'au bout de 30 ans, il acceptât l'idée que je sois son fils.

Nous nous heurtions souvent sur des sujets politiques; il m'écrivait alors des lettres de reproches auxquelles je répondais de façon cinglante. Mais nous avions pris la mesure l'un de l'autre : il aimait jouer aux cartes avec moi et, comme il n'était pas très argenté, m'emmenait, le Dimanche, voir des actualités au Cinéac de la gare Montparnasse.

Je compris, en lisant les papiers entassés dans ces caisses, à quel point il avait souffert d'être laissé seul par sa mère dans un collège à l'étranger, à l'âge de 6 ans, alors que son père venait de mourir, tandis que sa mère venait en France. Il en avait acquis une méfiance et une brutalité à l'égard des femmes, qu'il exerça contre ma mère, puis contre sa propre mère, puis contre sa seconde épouse. Il était paranoiaque et psychopathe,  mais n'éleva jamais la main sur moi.

Il avait un grand ami qui fut probablement son amant.

Commentaires

Portrait de Rimbaud

Tu n'as jamais discuté de lui avec son "grand ami" ? Tu as trouvé des lettres d'eux ?

Portrait de jean-rene

Je connaissais ce "grand ami" mais ne savait pas qu'il était son amant.

C'est après la mort de mon père, que sa seconde épouse m'a laissé entendre que mon père était bisexuel.

D'autre part, j'ai retrouvé dans les papiers de mon père un double de la lettre que mon père avait adressée à cet"ami" lorsqu'il décida de quitter Paris. Il lui déclarait qu'il reconnaissait devoir rompre le serment qu'ils s'étaient fait, de toujours rester l'un près de l'autre.

Lorsque j'écrivis à cet ami pour lui annoncer la mort de mon père, je ne reçus aucune réponse de sa part, comme si l'émotion qu'il ressentait, l'empêchait de me répondre, toute réponse risquant de me laisser pressentir l'amour qui les liait.

Portrait de Rimbaud

Peut-être aussi qu'il ne s'est pas senti le droit de te dévoiler cet amour sachant que ton père ne l'avait pas fait, comme une fidélité post-mortem. 

Portrait de jean-rene

Je pense aussi que c'est par pudeur qu'il ne m'a pas répondu.

Mais tu ne peux pas savoir à quel point j'ai de la tendresse, à présent, pour ce père que je n'ai pas suffisamment aimé.

Portrait de Rimbaud

C'est ce qui transparait dans la tonalité de ton texte, dans sa sobriété. C'est presque factuel. C'est évidemment d'une pudeur totale. Pour faire se rejoindre nos deux discussions (pont entre ton blog et le mien) : si les gens jouaient moins la comédie sociale, s'ils cessaient d'avoir peur de la vérité, cela décuplerait la tendresse, la rendrait possible. 

Portrait de jean-rene

Oui mais, Rimbaud, l'homme est un loup pour l'homme, de sorte que si tu montres une quelconque faiblesse, tu as toutes les chances pour que celui à qui tu te confies, en profite à ton encontre.

Portrait de Rimbaud

uhm Tu crois ? Alors c'est un con qui ne mérite pas mon estime, et sa réaction me fait gagner du temps. Mais je crois que beaucoup, beaucoup de gens sont plus tendres, plus respectueux, plus humains qu'on ne croit. 

Portrait de jean-rene

Tu as raison. Moi, je fais toujours le pari que mon interlocuteur est "humain et respectueux".

Et, si je me trompe, je considère que mon "piège à salaud" a, une fois de plus, fonctionné, c'est tout.

Mais cela suppose qu'on ne mette aucun pathos dans l'échange. Sinon, bonjour la souffrance !

Portrait de Rimbaud

Difficile effectivement quand on est un passionné comme moi... je n'y arrive pas trop mais je vais méditer sur tout ça ;)

Portrait de jean-rene

Moi aussi, je suis un passionné et je mets cette passion dans mes relations avec ceux que j'aime.

Mais gare à moi si, comme ça m'est arrivé récemment, l'un d'eux s'amuse à m'humilier en public : je me suis ainsi, retrouvé KO debout pendant plusieurs heures.