Partenaire particulier

Publié par Aurore et Maya le 22.10.2014
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Quand on demande à Aurore sa définition de la séro-différence, elle nous explique que que c'est le fait de vivre en couple en ayant des statuts sérologiques différents. Pour Maya, c'est le fait d’être un séropo et un séroneg dans un couple. Interview croisée de Aurore et Maya.

Que penses-tu du fait de choisir son/sa conjoint-e en fonction de son statut sérologique ?

Aurore : C’est une aberration, on choisit une personne, pas un statut. Même si c’est plus compliqué d’être en couple sérodifférent, ce n’est pas un critère de choix, c’est un tout.

Maya : J’ai changé d’avis la dessus au fil du temps, à 25 ans ma réaction était identique à la tienne et comme toi de protester "jamais de la vie je ne ferai ce genre de choix, c’est l’amour qui détermine qui on aime et rien d’autre". Et ça a été ainsi durant près de 15 ans, j’ai zappé tout ce qui était VIH de mon existence. Oh ! Je savais l’intrus en moi, mais mes résultats de bilan étant excellents, je ne voyais pas l’intérêt d’y aller tous les six mois pour un contrôle et pour m’entendre dire : "Tout est ok parfait à dans six mois…"
Je me suis mariée avec un séronégatif, amoureuse, je suis partie en Suisse où j’ai fait une sorte "d’échappée thérapeutique". Je n’ai pas vu un médecin pendant huit ans ce qui m’a fait grand bien. Plus d’hôpitaux mais des lectures, je suivais assidument les recherches scientifiques et articles sur le VIH. Pas d’associations non plus, je les voyais uniquement comme des groupes de paroles à l’époque, une forme d’assistanat…
Ce sujet VIH s’immisce grandement dans notre intimité : le sexe, le couple, le désir d’enfant, la contamination, les responsabilités partagées ou non etc. Avoir un enfant : je ne pouvais pas me projeter si loin, déjà que j’hésite à prendre un animal !! J’ai divorcé en grande partie à cause de ça. Pourtant j’avais un mari hyper conciliant mais j’’avais - et j’ai encore - certains interdits des années 80 en tête, 15 ans plus tard, j’agissais toujours par rapport à ces années là. Je ne me suis jamais sentie la force de combattre réellement l’omniprésence du VIH dans ma vie ; je l’ai accepté. Après un divorce et un retour en France, j’ai posé mes valises pour réfléchir à 45 ans, à ce que je voulais faire de ma vie de couple maintenant.
Je ne voulais plus pour mes vieux jours être seule et avoir un compagnon séropo était pour moi réellement plus simple. Je n’ai pas spécialement cherché mais quand on va dans les associations, on rencontre beaucoup de séropos forcément. Lors d’une fête des amoureux organisée par le comité des familles (association que je ne fréquente plus, disons pour des raisons politiques), j’ai rencontré un homme avec qui ça a fait tilt illico. On est devenus amis, il a aussi un passif long comme le bras, il est plein d’humanité et d’intelligence. Donc cette fois-ci, nous étions tous les deux dans une même attente d’un partenaire séro-concordante. On a eu la chance de se rencontrer un 14 février il y a quelques années.

Quelle place donner au VIH, au suivi médical, au dialogue autour de la maladie au sein d’un couple sérodifférent ?

Aurore : La place du VIH est minime, on vit comme tout le monde. Pour le suivi médical, je l’assume seule. Ma compagne s’inquiète de mon état de santé, elle va m’interroger pour savoir si je vais bien ou non, sans rentrer dans les détails médicaux. On essaie de garder la maladie le plus loin possible de notre vie, il ne faut pas que ce soit pesant dans la vie de tous les jours. Ma partenaire a peur, elle ne veut pas m’accompagner aux rendez-vous médicaux parce que ça la panique et lui rappelle que je peux tomber malade. Nous nous préservons comme cela. Il n’y pas de raisons de bousculer tout ça comme je suis pour le moment en bonne santé. Si je tombe malade, elle s’occupera de moi : elle est à la hauteur s’il y a besoin. Mais si tout va bien, elle garde une distance par rapport au côté négatif du VIH. Je ne veux pas la solliciter tout le temps et cela permet de maintenir l’équilibre entre nous et de la préserver. De son côté, elle ne veut pas faire d’ingérence dans mon suivi. Je veux vivre une vie normale.

Maya : Moi, ça me fait du bien de pouvoir avoir un véritable échange, un peu plus pointu sur la maladie, l’autre capte parfaitement de quoi je parle et s’il y a lieu de s’inquiéter ou pas. Mais c’est selon, certains séropos taisent leurs maux pour ne pas envahir l’autre ou par culpabilité, par honte. D’autres envahissent la relation avec la maladie. Entre ces deux extrêmes, il y a toute la palette des possibles de la vie… Nous n’en parlons pas tant que ça finalement : au moment des bilans. Ca n’envahit pas notre vie de couple mais cela reste présent quand même. Le VIH fait partie de moi. Si on me disait que demain, je n’ai plus le VIH, cela changerait tout dans ma vie, je serais peut-être même perdue. A lire, ça peut être choquant mais il faut comprendre que j’ai vécu toute ma vie d’adulte avec.

Est-ce qu’une harmonie sexuelle est possible au sein d’un couple sérodifférent ? Des changements au niveau de vos pratiques sexuelles ont-ils été opérés depuis l'annonce de l'avis suisse ? Quel est le niveau d’appropriation par le/la conjoint-e séronégative de cet avis suisse ?

Aurore : oui, une harmonie sexuelle est toujours possible. L’avis suisse est plus compliqué à retranscrire à un séroneg. La réaction de mon amie était étonnée : difficile à avaler. Le risque de transmission entre femmes est très limité, donc l’impact de l’avis suisse est moindre dans notre couple. La problématique est que je suis la seule à m’informer et c’est donc à moi de retranscrire les infos fidèlement et simplement ; surtout qu’elle n’est pas demandeuse. Elle a besoin que je la rassure. Il y a une grande confiance entre nous. Au début, elle a dû accepter qu’il y avait peu de risques entre nous : phase d’éducation. On s’est connues par Internet et il a fallu franchir le pas entre le virtuel et le réel, et du réel à la vie de couple au quotidien. Il a fallu trouver un mode de vie qui aille aux deux.

Maya : Oui, une harmonie sexuelle est possible. A partir du moment où la personne séropositive arrive à oublier le VIH pendant qu’elle fait l’amour. Moi, j’en suis incapable. Je n’ai jamais réussi à me lâcher, c’est toujours présent, toujours sur mon épaule. Je n’essaie plus. Je suis plus ou moins dans un couple au sens commun du terme. Lui étant impuissant à cause de ses traitements et ma libido en vacances prolongées depuis une dizaine d’années, on a donc décidé de mettre la sexualité de côté. Cela me manque rarement, et de moins en moins avec le temps. Ce n’est pas ma priorité, je peux vivre sans. La relation avec mon conjoint est très forte en compensation, beaucoup de tendresse, d’amour, de complicité mais no sexe. L’avis suisse n’a rien changé pour moi car je ne prends pas de traitement donc forcément je suis détectable mais je trouve ça très rassurant pour les personnes concernées de pouvoir enfin lâcher Sainte-Capote !

Dans un couple sérodifférent, y a-t-il une notion de culpabilité supportée par la personne séropositive ?

Aurore : Oui, forcément car le poids est lourd à porter : poids du regard des autres, poids social, poids de la contamination, poids du quotidien.
J’ai parfois l’impression d’être un boulet (fatigue, énergie, limites physiques). Par rapport à la contamination, je me dis que j’aurais dû faire attention. Culpabilité de ne pas pouvoir avoir une vie normale, d’avoir des enfants (coupable de ne pas avoir donné la vie). C’est moi qui ai choisi de ne pas avoir d’enfant, de ne pas prendre le risque d’en avoir un. Un enfant c’est sacré, je ne pourrais pas gérer les conséquences d’avoir un enfant séropositif.

Maya : L’une des raisons qui m’a fait choisir la séro-concordance est liée à mon état : je suis fatiguée en permanence et je ne pourrais pas suivre le quotidien de mon couple avec un conjoint hyperactif. Il fallait que je trouve quelqu’un qui comprenne que si je ne peux pas, ce n’est pas une question de volonté mais de capacité, qui sache ce qu’est cette putain de fatigue si envahissante… Vis-à-vis d’un séronégatif, il y a la culpabilité de le mettre en danger, elle est toujours présente à mon esprit depuis que pendant mon séjour suisse, en couple séro-différent à l’époque, nous avons eu un accident de capote, elle a craqué ! Panique, hôpital et trois mois de traitement préventif pour lui avec le lot d’effets indésirables bien présents malheureusement pour lui dès le début. Je ne veux plus vivre ça. Jamais. D’autres culpabilisent d’avoir été assez "bêtes" pour avoir chopé le VIH récemment malgré toute la prévention rabâchée depuis plus de 20 ans.

Que pourrait-on mettre derrière le mot compréhension au sein du couple ?

Maya : Amour, investissement, soutien, solidarité. Comprendre l’autre, être ami, amant.

Aurore : Empathie, accepter l’autre dans toute sa différence et dans son intégralité. Concept large. Accepter sans condition.

Comment évaluer la confiance que l'on peut faire au partenaire avant l’annonce de la séropositivité ?

Maya : Avec le temps, on sent à qui on peut en parler, si la personne est assez ouverte d’esprit. J’y vais au feeling. Il faut le dire vite car plus on attend, plus c’est difficle. Cela renforce le lien avec l’autre : l’autre peut devenir plus protecteur, on se fait plus cajoler.

Aurore : Evaluer la confiance est difficile. J’ai fait le choix de l’annoncer très rapidement. L’annonce a renforcé la confiance entre nous. Je me suis mise en danger en l’annonçant et le fait qu’elle l’ait accepté a renforcé ma confiance en elle. C’est rassurant pour l’avenir du couple : quand on a quelque chose à se dire, on se le dit en toute confiance. Cela soude et donne une base solide de construction du couple.

Par la suite comment circonscrire cette annonce au couple ?

Aurore : C’est compliqué de le dire à toute la famille. L’oncle et la tante de ma conjointe ne savent pas. On a choisi à qui on le disait : ses sœurs, ses parents. On leur a demandé de ne rien dire. C' est compliqué au quotidien (prise de traitement, trouver des excuses quand ça va mal, etc.). Ce qui me stresse le plus est que quelqu’un puisse le divulguer ailleurs. Ce qui m’inquiète est la répercussion sur ma partenaire si les gens l’apprennent. Les conséquences pour elle seraient très lourdes. On mesure les conséquences négatives que ça peut avoir, surtout qu’on habite à un endroit où la différence est mal acceptée, nous sommes donc plus prudentes. Quand on veut en parler, on se concerte avant : à qui on va le dire. Comment gérer le vieillissement au sein du couple ? Est-ce que je vais pouvoir travailler aussi longtemps qu’elle ? Est-ce que l’accumulation des différences ne va pas casser le couple ?

Maya : Moi, je l’ai dit à tous mes proches dès 1985, et oui, j’ai eu des réactions de rejet. Je ne supporte pas les rejets sur le sujet : c’est donc moi qui rejette les personnes qui ne l’acceptent pas. Quand je travaillais, je ne le disais pas pour ne pas perdre mon travail. Je l’avais juste dit à ma responsable car j’étais très proche d’elle et que je ne voulais pas me sentir malhonnête. C’est comme une mission pour moi, de pouvoir le dire. Tout le monde n’a pas le courage ou la possibilité de le faire.
Mon compagnon, lui, n’en parle pas. Il ne comprend pas quand j’en parle à d’autres qui ne sont pas forcément proches. Je crains les effets du vieillissement et je m’interroge sur comment cela va se passer…

Comment décrirais-tu ton vécu au sein d’un couple sérodifférent ? Quelles sont les répercussions sur tes sentiments, ta vie quotidienne ?

Aurore : on vit comme tout le monde. Il existe tout de même une part d’insécurité, ce qui est lié à la maladie et qui peut peser sur le couple. L’adversité a développé notre confiance mutuelle : notre couple est plus solide. Cela nous renforce, nous sommes soudées. Ma partenaire est "mon rocher en cas de dérive" et vice versa. Je revis avec elle. Je ne me vois pas en couple séro-concordant car je craindrais trop le poids de la maladie. Je devrais me gérer et gérer la santé de ma partenaire. Ce serait trop stressant pour moi, est-ce qu’on pourrait vivre longtemps comme ça ? Je verrais la vie plus à moyen qu’à long termes.
Ma partenaire séronégative m’apporte une stabilité qui permet de me projeter à long terme.

Maya : Je suis plus tranquille dans mon couple séro-concordant. Mon compagnon me rassure car il sait relativiser mes inquiétudes par rapport au VIH. Je n’arrive pas à lâcher certaines colères. Mon conjoint est plus posé, je pense par rapport à son parcours avec le VIH et il me tempère.

Commentaires

Portrait de chavetas

j'en ai bien appris et je vous admire et vous envie!!!

super ,bonne continuité et beaucoup de bonheur et longévité!

 je vous kiffe!

Portrait de malfada

aurore et maya   oui merci de votre sincérité , oui je ne sais que trop combien cela pése d etre sero different , c est ce que je vis au quotidien mais l amour est un medicament et oui j apprehende l avenir car mon energie n est plus la même alors oui mettre des mots sur les maux j y crois

Portrait de blaka97

Cela fait du bien de lire cela, merci ! Ah si on  pouvait tous trouver le bonheur !

Portrait de malfada

MERCI  AURORE ET MAYA 

ca fait du bien de vs lire , ces questions et ce que vous vivez ; c est aussi mon quotidien .

je vis avec un homme sero neg et moi sero po alors oui je sais combien la peur mais surtout la force de l amour est vital ce qui n a ete toujours le cas car dans les annees 80.90 ils ne fallait pas s atacher de peur de lui faire vivre la mort et puis les tri sont arrivees et là tout a changer et maintenant nous vieillissons ; alors oui avec fatigue , douleurs , examens , medocs mais surtout avec espoir de vieillir encore

bisous a toutes , le plus important  c est d aimer et d etre aimer