"C’est moi qui suis séropositif… pourquoi avez-vous peur ?"
"Le Québec a sa propre politique d’immigration. Je devais donc pour chaque renouvellement de permis obtenir au préalable l’autorisation de la province. En 2007, la dernière année de mes études, je demande conformément à la loi canadienne le statut de résident permanent, ce qui me permettrait de pouvoir vivre au Canada sans visa. Pour cela, je dois tout d’abord obtenir un certificat de sélection du Québec. Ce certificat s’obtient selon une grille de points. Ce certificat, je l'obtiens. Il est indispensable pour la suite du processus d’immigration. Muni des pièces nécessaires, j'envoie ma demande d’immigration au gouvernement fédéral qui me convoque pour la fameuse visite médicale. Les papiers sont envoyés, mais la réponse tarde… Finalement, mon visa expire. Je décide alors de quitter le pays et d'y revenir en tant que touriste. Etant Français, je peux rester au Canada six mois au titre de visiteur, mais je ne peux rien faire, ni études, ni travail. Je perds donc tous mes droits. Le temps passe et le 8 septembre 2007, je reçois un appel du gouvernement fédéral me disant de venir en urgence le 11 septembre à la clinique où j'ai passé mes examens médicaux dans le cadre de la procédure pour être résident permanent. Je ne comprends pas trop pourquoi je suis convoqué car j'ai passé un test de dépistage auparavant et il n'y avait rien. Les trois jours entre le 8 et le 11 septembre sont des jours de trouble, d’inquiétude et d’angoisse. Le 11 septembre arrive enfin. Je suis reçu par le directeur de la clinique… Ça me surprend qu'on me fasse tant d'honneur. Le directeur me dit : "Monsieur, vous avez le VIH. Je n'ai pas le temps de répondre à vos questions…". Puis, énervé, il me dit : "Débrouilliez vous… cassez vous ! ". Cinq minutes et me voilà perdu, sans soutien, à errer seul avec cette terrible nouvelle sans savoir ce qui va se passer. Grâce au soutien et à l’affection de mes amis, je trouve un médecin qui me fait passer gratuitement un test de confirmation. Le test est positif. La descente aux enfers commence pour moi… Tout se bouscule. Les repères tombent. Ma vie défile en 30 secondes… Je ne sens plus rien. Mais j'espère toujours et j'attends. En décembre, le gouvernement fédéral m'informe que mon visa de visiteur prend fin en janvier et que je dois quitter le Canada et attendre, en France, la réponse. On me signifie que si je ne pars pas de moi-même… on viendra me chercher. Je stocke mes affaires chez des amis car je suis persuadé que je vais pouvoir revenir. Je prends l'avion pour Paris le 26 janvier 2008… Je ne sais pas encore que cela sera mon dernier voyage en tant qu’homme libre en provenance du Canada. Le 27 janvier, je suis à Paris en France. Hasard du calendrier, je reçois, cette même date, une lettre du gouvernement canadien qui m'informe qu’étant devenu séropositif je suis devenu un "fardeau excessif" pour la société canadienne et donc me refuse le statut de résident permanent. Je ne suis pas sous traitement.
Je cherche alors à savoir ce que signifie selon la loi canadienne cette formule de "fardeau excessif". Dans les textes de loi, je trouve ces deux critères :
"1 : Soit toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de 5 années consécutives suivant la visite médicale ou si il y a des preuves que des frais importants devront probablement être assumés après cette période, sur une période d’au plus 10 années consécutives" ;
"2 : Soit toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait alourdir les listes d’attente existantes et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada du fait de l’empêchement ou du retard de la prestation de ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanent".
Je suis abasourdi et fais appel de cette décision en apportant des éléments. Le 1er avril 2008, la décision finale tombe : le gouvernement canadien maintient son refus. Il ne tient pas compte des preuves qui indiquent que j'ai été contaminé sur le sol canadien. La lettre stipule que je ne dois plus me rendre au Canada sans visa : "Cette interdiction de territoire pourrait aussi s’appliquer à d’autres séjours que vous pourriez envisager au Canada à titre de visiteur. VOUS NE DEVEZ PAS ALLER AU CANADA SANS AUPARAVANT OBTENIR L’AVIS D’UN BUREAU DES VISAS CANADIEN".
Après de nombreuses difficultés et beaucoup de mépris des autorités canadiennes, j'obtiens finalement en juillet 2008 une autorisation pour me rendre au Canada pour un séjour de dix jours. 10 jours pour vendre ou rapporter ses affaires. Pendant ces dix jours là, je suis davantage contrôlé que durant mes six années passées dans le pays. A mon départ, le gouvernement vérifie bien que je pars. Depuis, je vis en France. J'ai du reconstruire ma vie. Je n'ai pas réussi à me rendre de nouveau au Canada : mes demandes d'autorisation ont toutes été refusées. Depuis mai 2010, je suis sous traitement. Si je raconte ce qui s'est passé… ce n'est pas pour changer, à moi seul, la politique discriminatoire du Canada, c'est impossible. Cette politique ne concerne pas uniquement les séropositifs, mais toutes les personnes étrangères ayant de gros soucis de santé. C'est surtout pour dénoncer cette situation et montrer le vrai visage d’un pays qui se prétend ouvert aux autres. Je veux me battre pour la levée de l’interdiction de se rendre au Canada en tant que visiteur lorsqu'on est séropositif. Le VIH ne doit pas devenir un outil de discrimination. S'unir pour faire respecter les droits des séropositifs est un devoir sacré".
Benjamin
Benjamin n'est pas inscrit sur Seronet. A sa demande, ce prénom a été modifié.
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Commentaires
QUEL SCANDALE,
L'avenir pour les "fardeaux excessifs"
Aucune surprise !
et on parle...de libre circulation des personnes
Je suis abasourdi !
Quelle honte!
s'unir pour nos droit
dedans / dehors
Un séjour de 4 mois au Québec
Etonnement
honteux
On y va tout droit !
Au-delà de la situation particulière de Benjamin et des séropos au Québec, c'est toute la prise en charge sanitaire qui coûte au Canada et au Québec. La réduction drastique des déficits publics menée bien avant nous là-bas n'a pas eu une incidence nulle sur la santé pas seulement des plus pauvres mais aussi des classes moyennes. Comment s'y faire soigner les dents quand on n'a pas le sou ou pas suffisamment le sou ? Et c'est vrai depuis des années là-bas. Il n'est pas rare que des Français (du Nord) établis là-bas fassent appel à la solidarité familiale en France pour financer certains soins.
C'est de plus en plus vrai en France aussi mais à petits pas feutrés. Les franchises ou le droit d'entrée à l'AME en constituent quelques exemples flagrants. Il y en a bien d'autres. Stéphane Hessel, né à Berlin, résistant, ancien déporté, dans son appel de membre du Conseil de la Résistance, Indignez-vous !, rappelle à quel point la santé solidaire constitue la pierre angulaire même d'une société capable de lutter contre les démons fachistes du passé. Libérer l'accès de la santé pour tous, le démocratiser a constitué la première décision du conseil de la Résistance avec la création de la Sécurité sociale qui figure d'ailleurs dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme à laquelle Hessel lui-même a contribué. Accepter la libéralisation de la santé, c'est ouvrir la boîte des Pandore lepéniennes.
Le Québec vient recruter son personnel médical en France. C'est moins cher. Pas besoin d'investir pour le former. Et la France va recruter son personnel médical en Espagne, en Europe de l'Est ou en Afrique du Nord et de l'Ouest. Le jeu des dominos en somme.
Quel est le titre de ce film canadien où un père se fait soigner son cancer dans un hôpital à moitié désaffecté et est obligé de côtoyer les dealers pour se procurer l'héroïne qui faute de morphine pourra le soulager ?
Ce ne sont pas que les séropos qui deviennent des "fardeaux excessifs", même en France, c'est de plus en plus tout ce qui dépasse d'une tête ce que le Législateur estime être la femme ou l'homme en bonne santé, c'est-à-dire lui-même.
législateur!
le doute ......
réponse à Paul75
Je pense que l'histoire de Benjamin est
benjamin
interdiction de vivre ! ?