Guyane : la santé fait barrages !

Publié par jfl-seronet le 12.11.2013
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Droit et socialdiscrimanationdroits de l'homme

En Guyane : des barrages policiers entravent l’accès aux droits de personnes sans papiers ou françaises mais dépourvues de preuve de leur nationalité.  Une requête en annulation a été déposée par huit associations (AIDES, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde) devant le tribunal administratif de Cayenne. Pour les associations, il s’agit d’un "excès de pouvoir". Explications.

"Deux barrages policiers permanents, véritables frontières internes, sont établis sur la seule route permettant l’accès à Cayenne, l’un à l’Est, l’autre à l’Ouest. Les personnes qui vivent le long des fleuves frontaliers (Oyapoque et Maroni) sans papiers ou françaises mais dépourvues de preuve de leur nationalité, sont ainsi privées de l’accès à la préfecture, à certains tribunaux, à plusieurs services hospitaliers et consultations spécialisées, à des formations professionnelles ou universitaires. Ces contrôles de gendarmerie sont renouvelés tous les six mois par des arrêtés préfectoraux selon lesquels "le caractère exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun de ces contrôles permanents à l’intérieur du territoire, doit être principalement ciblé sur la répression de l’orpaillage clandestin et l’immigration clandestine".

Un recours déposé devant le tribunal administratif

Le 24 octobre, huit associations - AIDES, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde - ont déposé devant le tribunal administratif de Cayenne un recours en annulation contre le dernier arrêté concernant le barrage situé à l’Est. Elles appuient leur requête sur la violation de plusieurs droits fondamentaux : liberté d’aller et venir, droit à un recours effectif lorsque la vie privée et familiale est en jeu, égalité devant la loi, droit à la santé et à l’éducation. Ces contrôles d’exception sont contraires à la position de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a considéré que ni le contexte géographique, ni la pression migratoire de la Guyane ne pouvait suffire à justifier des infractions à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, grande chambre, 13 décembre 2012, de Souza Ribeiro c./ France, req. N° 22689/07). Il est temps que cessent, en France d’outre-mer, les dispositifs dont le caractère est "exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun" et au droit international.


Pourquoi AIDES est-elle signataire de ce recours administratif ?
Dans le texte du recours, AIDES rappelle que ses statuts l’engagent à "mener toutes actions visant à la transformation des pratiques, des structures ou des réglementations dès lors qu’elles constituent une entrave à la lutte contre l’épidémie à VIH et aux besoins des personnes qui s’expriment à AIDES ; de défendre l’image, la dignité et les droits des personnes atteintes par l’infection au VIH". "En Guyane, les taux de prévalence et d’incidence en matière de VIH et de sida sont près de vingt fois supérieurs aux taux hexagonaux : la Guyane est le département français le plus touché par le VIH, elle est en situation d’épidémie généralisée. La communauté la plus affectée par le VIH/sida en Guyane est étrangère. En renouvelant le poste fixe de gendarmerie installé à proximité du pont de Régina, l’arrêté attaqué entrave l’accès aux soins, notamment des personnes étrangères en situation précaire de séjour : il compromet la liberté d’aller et venir, l’égal accès aux services publics, tels que l’assurance maladie et la justice, et le droit à la santé. Au regard de son objet, du contexte guyanais et des droits fondamentaux en cause, AIDES a manifestement intérêt à agir dans le cadre de cette présente requête au Tribunal administratif de Cayenne qui vise à demander l’annulation de l’arrêté (….) prorogeant l’arrêté (…) portant réglementation de la circulation sur la Route Nationale n°2".


Sur la violation du droit à la santé
Extraits du recours. "Fondé sur l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le droit à la santé, objectif constitutionnel, a été consacré par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel (…) Il comprend l’égalité devant l’accès aux soins. Le droit à la protection de la santé est également indirectement garanti par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants et par l’article 8 de ladite convention protégeant le droit à la vie privée et familiale. Les indicateurs de santé placent la Guyane en dernière place des régions françaises du point de vue sanitaire : un taux de mortalité infantile 3,5 fois supérieur à celui de l’Hexagone, un taux de tuberculose parmi les plus élevés de France après la région Ile-de-France, le département français le plus touché par le VIH.  Pourtant, l’offre de soins est insuffisante et soumise à de fortes disparités géographiques, le secteur hospitalier est sous équipé, et les professionnels de santé changent fréquemment. L’offre de soins est donc en totale inadéquation avec les besoins réels de la population. Le déplacement jusqu’à Cayenne est indispensable dès lors que la consultation d’un médecin spécialiste est nécessaire dans les disciplines suivantes : anesthésie, cardiologie, chirurgie viscérale, dermatologie, diététique, hémodialyse – néphrologie, lutte anti-hansénienne, ORL, odontologie, ophtalmologie, orthopédie, psychiatrie, infectiologie.
Pour exemple à Saint-Georges-de-l’Oyapock, un dispensaire, un médecin généraliste et un infirmier constituent à eux seuls l’intégralité de l’offre de soins disponible, outre la présence d’un gynécologue et d’un pédiatre une semaine par mois – sous réserve que ces postes soient effectivement pourvus – ainsi que d’une sage-femme au sein du service de protection maternelle et infantile. Les personnes sont donc souvent amenées à se déplacer afin d'avoir accès à des soins disponibles. En conséquence, les postes fixes systématisant les contrôles d’identité impactent directement l’accès aux soins des étrangers en situation administrative précaire et des peuples autochtones dépourvus de documents prouvant leur identité.  Seul un laissez-passer délivré par la préfecture sur demande d’un médecin agréé par l’agence régionale de santé est à même de permettre l’accès aux soins de ces personnes. Or, depuis la mise en place des postes fixes, les procédures et critères médicaux pour leur franchissement ne sont ni communiqués officiellement aux médecins de ville (et du domaine médico-social), ni aux médecins des centres de santé.
Concrètement, cela se traduit par l’intégration par les professionnels de santé des restrictions et contraintes de la procédure administrative de franchissement, par une autolimitation, voire un renoncement à demander des examens complémentaires pour les seuls patients étrangers en situation administrative précaire et des peuples autochtones dépourvus de documents prouvant leur identité. Plus encore, des retards au diagnostic, des retards de prise en charge, voire une absence de prise en charge, des ruptures de la continuité des soins sont à déplorer pour ces seuls patients. Parallèlement, les personnes directement concernées intègrent ces pratiques qui les conduisent elles-mêmes à renoncer aux soins. L’ensemble de ces situations incluent des risques dangereux pour la santé, voire des complications sanitaires qui auraient pu être évitées, et, en tout état de cause, une espérance de vie sans incapacité diminuée pour les personnes concernées".