Mariage, adoption, émotion, en France aussi, it gets better !

Publié par Théau Brigand le 25.04.2013
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Droit et socialmariage pour tous

Militant de la lutte contre le sida, Théau s’est beaucoup investi dans la défense du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, par convictions personnelles, aussi parce qu’il travaille à AIDES au plaidoyer, un plaidoyer qui défend l’égalité des droits pour tous. Tout logiquement, Seronet a demandé à Théau, présent à l’Assemblée Nationale, de raconter le moment du vote historique de cette loi.

Le 23 avril, en arrivant à proximité de l’hémicycle, sur les trottoirs du quai d’Orsay, l’émotion était déjà là.

Cette loi, c’est celle de l’égalité, celle qui aurait pu aider tant de jeunes à avoir moins peur, à mieux s’accepter, en découvrant une orientation sexuelle qui n’était pas celle qu’ils auraient souhaitée, qui n’était pas "normale". Anormaux, privés de mariage, d’enfants, de droit à fonder une famille, même la République montrait cette différence. Cette loi, c’est peut-être aussi celle qui va faciliter, demain, l’annonce, ce moment si compliqué dans la vie de tous les homosexuels, la libération pour tant d’entre eux du poids trop lourd du secret, des peurs et des représentations, de cette crainte si forte, si oppressante d’être rejeté.

L’émotion, c’est aussi celle d’une histoire collective : l’histoire de Stonewall, du FHAR, des Gouines rouges, de la lutte contre le sida, de AIDES et d’Act Up, de l’Inter-LGBT et des marches inlassables pour dire notre fierté… C’est l’histoire de ces milliers de lesbiennes, trans, bis et gays, en France et dans le monde, qui se sont mobilisés pour avoir le droit de vivre, d’exister, de se montrer, c’est l’histoire de ces personnes sans qui nous n’en serions pas là.

L’émotion, elle est dans la file d’attente devant l’Assemblée, elle est aussi dans l’hémicycle, au moment des questions au gouvernement où l’ambiance est électrique, où les députés de droite et de gauche n’ont que ce vote en tête ; c’est dans deux heures. Une nouvelle question à droite sur la Manif pour tous et les passions se déchainent ; gouvernement, députés, spectateurs, tous ont en tête les agressions de couples homosexuels et les débordements de manifestants de plus en plus violents.

Fin des questions au gouvernement, nous y sommes ! Frigide aussi.

Tout le monde sort. On redonne nos billets d’entrée et retour dans l’hémicycle, chacun reprend une place, au premier rang on voit Frigide Barjot.

L’émotion alors se transforme, Frigide Barjot, le visage de la Manif pour tous, le visage de celle qui a voulu faire croire que se mobiliser contre les droits d’autres citoyens, c’était cool ! Celle qui fit manifester des milliers de personnes pour dire non à un projet d’égalité. Le 6 mai 2012, nous savions que les homosexuels seraient enfin des égaux parmi les égaux, mais jamais, nous n’aurions pu imaginer cette mobilisation si intense contre nos couples, nos familles, contre nos enfants, contre ce que nous sommes. Frigide Barjot, cette "amie des homosexuels", cette réac en rose est là, trop proche, se lavant les mains des agressions homophobes orales ou physiques plus nombreuses depuis qu’elle fit descendre droite et extrême droite dans la rue. Elle s’impose, si fière, en territoire conquis. Au-dessus des bancs de l’UMP, elle interpelle un député : "Hey, ça va ? On est là. On vous regarde", avant d’être reprise par un huissier : "On ne parle pas aux députés !".

Les explications de votes des différents groupes politiques commencent et se succèdent. L’ambiance est tendue sur les bancs des députés, mais plus encore dans les tribunes. Les places étaient chères, personne n’est là par hasard, mais tous, pour et contre, sont contraints par les règles de l’Assemblée de rester impassible, de ne pas montrer d’approbation, de joie ni de colère. Parfois, les masquent cèdent, les expressions reviennent. Ce sont des sourires ou des bouches pincées. C’est aussi des bâillements, comme celui de Frigide Barjot lorsque Marie George Buffet évoque l’homophobie libérée.

Les amoureux de la démocratie, et les autres…

Fin des explications, chacun s’apprête enfin à voter, le moment est solennel, chargé d’émotion, quand des cris se font entendre : "Référendum". A droite et à gauche, des jeunes brisent les règles de l’Assemblée et tentent de copier Greenpeace en suspendant des banderoles aux tribunes. L’un d’eux, plus rapide, se place sur un pilier, manque de tomber sur les députés socialistes, déplie partiellement un drap qu’on n’aura pas le temps de lire. Ironie de l’histoire, un autre, plus âgé, se déchaine en faisant un V de la victoire à côté de Wilfred, le visage encore marqué par les coups d’une agression homophobe. La violence de l’action est terrible, l’adrénaline se libère, les mains tremblent. Claude Bartolone, le président de l’Assemblée Nationale se doit de faire un rappel au calme et invite "les ennemis de la démocratie" à quitter l’hémicycle. Pendant tout cet épisode d’un activisme violent, mais un peu désespéré, Frigide Barjot est restée souriante, regardant la scène sans surprise, presque avec bienveillance.

Le vote, la joie et l’ivresse de l’égalité

L’air est électrique, l’émotion est toujours là, l’adrénaline en plus. 566 votes exprimés, 225 contre le texte, 331 en faveur de l’égalité des droits.

A droite, UMP et FN quittent les lieux sans délais, sans égard pour ce moment historique où les droits de leurs concitoyens progressent. Frigide Barjot, après avoir feint une certaine déception, en fait de même. A gauche, les députés se lèvent, applaudissent et scandent "Egalité". Dans les tribunes, il est toujours interdit de montrer la moindre émotion, mais les yeux sont humides et le discours de Taubira n’arrange rien.

"Nous savons aussi qu'il faut parler à celles et ceux qui ont été blessés ces jours derniers par des mots, par des gestes, par des actes. Leur dire qu'ils sont pleinement de cette société et que nous savons que la responsabilité de cette puissance publique c'est de lutter contre les discriminations. C'est une exigence du pacte républicain. Et lutter contre les discriminations c'est évidemment ouvrir à tous les citoyens les dispositifs de droit commun ainsi que les plus belles institutions de la République. Nous devons dire en particulier aux adolescentes et aux adolescents de ce pays, qui ont été blessés, qui ont été désemparés ces derniers jours, qui ont été dans un désarroi profond, immense, qui ont découvert une société où une sublimation des égoïsmes permettait à certains de protester bruyamment contre les droits des autres. Nous voulons leur dire simplement qu'ils sont dans leur singularité et dans leur place dans la société, que nous les reconnaissons dans leur place dans la société, avec leur mystère, avec leur talent, avec leurs défauts, leurs qualités, leur fragilité. Que c'est ça la singularité de chacune, chacun d'entre nous, indépendamment même de toute question sexuelle. Chacune, chacun d'entre nous est singulier et c'est la force de la société, c'est même la condition de la société, la condition de la relation dans la société. Alors nous leur disons : ''Si vous êtes pris de désespérance, balayer tout cela. Ce sont des paroles qui vont s'envoler. Restez avec nous et gardez la tête haute. Vous n'avez rien à vous reprocher. Nous le disons haut et clair à voix puissante, parce que comme disait Nietzsche : ''Les vérités tuent. Celles que l'on tait deviennent vénéneuses".

La séance est suspendue, et tout ne fait que commencer

La séance est suspendue, encore dans l’hémicycle, l’émotion ne peut plus être contenue. L’ancienne députée Corinne Narassiguin, qui a beaucoup combattu pour ce succès, est dans les tribunes, en larmes, elle est applaudie par les députés. D’autres spectateurs craquent, l’applaudissent aussi, en dépit des règles ; le moment est trop intense. Dans les escaliers, dans les couloirs, beaucoup se tombent dans les bras, s’embrassent, se félicitent, pleurent de joie, conscients d’avoir assisté à un moment historique, à un de ces moments si particuliers, si rares où la société évolue, où la République offre de nouveaux droits à ceux qui en étaient privés, où la France s’engage toujours plus pour l’Egalité.

Dehors, il fait beau, la joie est partout, le fond de l’air est plus doux, plus rose, et les lendemains chantent.