Réseaux de santé des mutuelles : la loi qui fait débat

Publié par jfl-seronet le 27.08.2013
12 564 lectures
Notez l'article : 
4.5
 
0
Droit et socialmutuelle

Le Sénat a adopté (24 juillet) une proposition de loi PS controversée qui vise à instaurer un meilleur remboursement des soins aux adhérents des mutuelles recourant à des professionnels membres de leur réseau de santé. Le texte a été voté par 172 voix contre 137 grâce à l'apport des voix des sénateurs centristes et fait polémique.

Cette proposition de loi du président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Bruno Le Roux, a suscité une levée de boucliers, notamment chez les opticiens, les chirurgiens-dentistes et les médecins libéraux. Depuis une décision de la Cour de cassation de 2010, rappelle l’AFP, les réseaux mutualistes regroupant des opticiens, diététiciens, ostéopathes, chirurgiens-dentistes, etc., contrairement à ceux des autres complémentaires de santé (assurances et institutions de prévoyance), sont illégaux, car contraires au Code de la mutualité. La future loi vise à modifier ce code pour mettre tout le monde en conformité avec la loi. Mais là, deux logiques s’affrontent. Pour les complémentaires Santé, l'avantage de ces réseaux qui concernent aujourd'hui près de 40 millions d'assurés est qu'ils contribuent à freiner  les prix, dans des secteurs de soins où l'assurance-maladie obligatoire rembourse très peu : optique, prothèses dentaires, etc. Du côté des professionnels (opticiens, chirurgiens-dentistes, médecins libéraux), on critique vivement le projet pour deux raisons : la crainte que cela ne porte atteinte à la liberté du choix du patient et surtout à leurs intérêts financiers.

Une fausse bonne idée ?

Dans une tribune dans Le Monde (24 juillet) : "Complémentaire pour tous : une fausse bonne idée", Peggy Wihlidal, déléguée générale du groupe Soins coordonnés (un groupement d’associations d’accompagnement et de formation des professionnels de santé), explique que "dans un contexte de recul continu (et fort ancien) des remboursements des soins, notamment de ville, par la Sécurité sociale, il existe de fait un champ à couvrir". Elle craint même que la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale annonce de "nouvelles mesures de déremboursements", élargissant plus encore le champ à couvrir. Selon elle, cette "complémentaire pour tous" ainsi instaurée viendrait suppléer la Sécurité sociale. "Dans la mesure où il s'agit d’aboutir à une prise en charge des soins par une assurance complémentaire santé privée, il faut bien appeler les choses par leur nom : la privatisation de la Sécurité sociale est en marche. Pour rappel, notre système de protection sociale, pour antique qu'il puisse paraître, est fondé sur un principe d'universalité de prise en charge. Maintenir ce principe d'universalité de la couverture santé, c'est-à-dire maintenir des prestations identiques pour tous et sur tout le territoire tout au long de la vie d'un assuré, nécessiterait pour les assureurs de renoncer au principe de "sélection du risque", qui constitue rien de moins que le cœur même de leur activité". Et Peggy Wihlidal d’avancer un autre argument : "D'un point de vue pragmatique, réduire le champ d'action de la Sécurité sociale au bénéfice des assureurs à qui on confie toujours davantage de remboursements de soins augmente les coûts pour la population (…) Une Sécurité sociale pour tous est possible, entre qualité des soins et efficience. Reste à oser le courage et la détermination".

"Un nouveau paradigme pour l'accès aux soins"

Président honoraire de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS) et de l'École nationale supérieure de sécurité sociale (ENSSS), Jean-Marie Spaeth a une tout autre vision du projet. Lui aussi l’a exposée dans "Le Monde" (24 juillet) dans une tribune intitulée : "Un nouveau paradigme pour l'accès aux soins". "Une complémentaire santé pour tous les salariés des entreprises du privé d'ici 2016 (…) L'évènement est majeur pour la couverture maladie de nos concitoyens, plus particulièrement pour l’accès aux soins dispensés en ville ainsi que pour les acteurs du système de soins", explique-t-il.

"Pour la population, la généralisation de l'accès à une complémentaire santé répond à la difficulté actuelle d'accéder aux soins de première intention, les soins de ville, avec les seules prises en charge par la sécurité sociale. Le reste à charge pour les ménages, après remboursement de la sécurité sociale, des dépenses de soins, est aujourd'hui de plus de 23 %, en constante augmentation depuis 2005 (21,9 %), il se réduit à 10 % en comptant les complémentaires. Ce chiffre global (hôpital et soins de ville) masque le fait que, pour les soins de ville, ce reste à charge s'élève à près de 50 %", détaille Jean-Marie Spaeth. L’expert estime que nous sommes aujourd’hui au bout du cycle de la réforme de 2004 (celle de Douste-Blazy). Il voit dans cette réforme "un nouveau paradigme pour l'accès aux soins de nos concitoyens qui aura des répercussions sur les biens et services assurés par cet ensemble, les rapports contractuels avec les offreurs de soins, en termes tarifaires, de prix des produits mais aussi en termes médico-économiques [parcours de soins de la HAS, par exemple, ndlr] ainsi que sur la récurrente question de la nécessaire transparence des données de santé".

Pour Jean-Marie Spaeth, les choses devraient se dessiner ainsi : "A l'Etat de jouer son rôle de garant de l'accès à des soins de qualité pour tous et en tous lieux en définissant précisément le panier de biens et services utiles (…) et en rappelant les responsabilités de chacun (assurance de base, complémentaire santé, professionnels de santé, etc.). Aux régimes complémentaires de veiller à ce que les cotisations fondées sur la solidarité entre bien portants et malades servent exclusivement aux besoins sanitaires de la population".