Suisse : le droit pénal et le VIH en débat

Publié par Nico-Seronet le 10.01.2014
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Droit et socialpénalisation

Genève, le 12 décembre 2013, Les Hôpitaux Universitaires de Genève, le Centre hospitalier universitaire vaudois et le Groupe sida Genève organisaient, pour les professionnels de la santé et ceux du droit, un colloque sur le droit pénal et le thème du VIH. Il s’agissait d’une deuxième édition pour ce colloque qui s’inscrivait, une fois de plus, dans l’actualité du VIH en Suisse et les progrès médicaux dans la prévention de la transmission du VIH d’une part et les évolutions dans le droit d’autre part. Seronet y était. Mise au point.

La pénalisation de la non divulgation, de l’exposition ou de la transmission du VIH, un problème de santé… mondial

Susan Timberlak, la cheffe de division des droits de l’homme à l’ONUSIDA a bien précisé d’emblée que pour l’organisation onusienne, la pénalisation n’est pas appropriée pour lutter contre l’épidémie de VIH. C’est pourquoi l’ONUSIDA a formulé en 2013 des recommandations pour les pays afin d’adapter leurs législations respectives et limiter ces situations de pénalisation. Elle constate que cette pénalisation concerne de manière excessive des situations où le risque est absent, notamment en cas d’utilisation du préservatif ou d’autres techniques de prévention. Que dans certains cas le droit pénal n’est pas respecté et surtout que ces affaires font l’objet d’un traitement médiatique excessif. Face à cela, l’ONUSIDA considère que la pénalisation ne peut intervenir que dans des cas extrêmes de transmission volontaire du virus, qu’à cela il est caractérisé la volonté de nuire et surtout qu’il y ait eu une transmission effective du VIH.

Susan Timberlak insiste sur l’importance d’un équilibre entre justice et données scientifiques car, en effet, le préjudice lié à l’infection est limité par les possibilités de traitement, le VIH est une infection contrôlable et devenu une pathologie chronique. Elle rejette totalement l’idée de la pénalisation de la non divulgation du statut sérologique à un partenaire comme celle de l’exposition d’autant plus que l’absence de transmission est établie en cas d’usage du préservatif ou d’une charge virale faible (en ce sens le Professeur Hirschel rappelait les données d’études sur lesquelles se sont fondées les recommandations suisses, notamment l’étude RAKAI en 2000 qui donnait : aucune transmission chez les individus présentant une charge virale inférieure à 400 copies/ml). Selon la position de l’ONUSIDA, la cheffe de division préconise de soutenir l’accès aux services juridiques et le renforcement des capacités pour les personnes séropositives.

Vers la fin de la pénalisation en Suisse

Un tournant majeur dans le combat contre cette pénalisation excessive a été la publication en 2008 des experts suisses sur la non-infectiosité des patients sous traitement antirétroviral. Suite à cette publication, des jurisprudences sont apparues, d’abord cantonales, limitant les condamnations des cas d’exposition au VIH : la transmission n’étant plus possible, l’exposition ne l’est dès lors pas plus également.

Le premier procureur du canton de Genève, Yves Bertossa, qui s’était illustré en 2008 en créant la première de ces jurisprudences, a insisté sur le fait que c’était le Tribunal fédéral qui avait une certaine frilosité à tenir compte des avancées médicales. Il a rappelé que la récente réforme de la Loi sur les épidémies (qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016) limitera les possibilités de condamnation aux seuls cas de transmission si la "bassesse de caractère" de l’individu est reconnue. Cela ne pourra, dès lors, concerné que des cas extrêmes, sinistres faits divers, comme le "cas de Berne" qui a vu la condamnation d’un thérapeute acupuncteur, séronégatif au demeurant, qui a injecté à une vingtaine de ses clients du sang contaminé prélevé sur d’autres clients, eux séropositifs. Quant au procureur général de Genève, Olivier Jornot, il constate que cette révision de la loi sur les épidémies demeure quelque peu "scabreuse" en introduisant la "bassesse de caractère" car les modifications récentes du droit pénal suisse tendent plutôt à supprimer le recours à ces termes, bien difficile à utiliser dans la plupart des cas.

Pour Yves Bertossa, si le Tribunal fédéral intègre la jurisprudence faisant référence à la non-infectiosité des personnes séropositives en traitement et la transformation de la notion juridique de "lésions corporelles graves" en "lésions corporelles simples", ce sera bien vers une fin de la pénalisation que nous irons concernant le VIH en Suisse. Olivier Jornot précise que les dispositions pénales auxquelles fait référence la loi sur les épidémies est un instrument de sauvegarde de la santé publique à disposition des autorités, mais qui n’a jamais été utilisé, que c’est un instrument qui a été détourné au service de plaintes individuelles. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ces situations deviendront exclusivement l’affaire du médecin cantonal. Yves Bertossa concluait la journée en précisant qu’il n’était personnellement pas "sûr que cette loi serve à quelque chose, que le plus intéressant c’est l’évolution des mœurs et le changement d’image des séropositifs dans la société".

Secret médical et information du partenaire : des tensions entre les droits du patient et le médical

On pourrait croire que les choses évoluent dans un sens favorable et pourtant des tensions apparaissent ou réapparaissent autour de la pratique médicale et la divulgation de la séropositivité. Le colloque laisse apparaître les questionnements des médecins sur deux points.

Le premier point concerne le dépistage qui n’est pas toujours proposé au patient, mais qui va quand même être parfois réalisé. Un cas est présenté, celui d’un homme qui est actuellement défendu par Cornelia Tinguely, avocate au Groupe sida Genève, et qui s’est vu testé à son insu. Le médecin, le pédiatre de son enfant, lui révèle alors sa séropositivité, et face au refus du patient de prévenir sa femme, le médecin demandera aux instances compétentes de le délier de son secret médical pour informer directement la femme du patient. La démarche a abouti et la femme a été informée. Face à ce cas de discrimination, la chambre administrative de la cour de justice de Genève a décidé que la décision de lever le secret médical était contraire au droit. L’affaire est encore pendante devant la commission de surveillance des professionnels de la santé et des droits des patients concernant le test à l’insu. La doctoresse Alexandra Calmy des Hôpitaux de Genève précise quant à elle que le médecin doit informer le patient du contenu de son bilan. Au-delà du problème qu’à posé la levée du secret médical, Bernard Hirschel questionne l’intérêt d’une évolution de la pratique de dépistage vers une pratique opt out (pratique largement répandue aux Etats-Unis) qui consiste à inclure ce test dans un bilan sauf si le patient en exprime expressément le refus. Dans le cas du VIH, contrairement au temps où il n’y avait pas de traitements disponibles pour contrôler l’infection et que l’intérêt du dépistage était posé, aujourd’hui "le test permet de sauver la vie du patient et de prévenir toute complication liée à l’infection". Ce test se banalise de plus en plus et Bernard Hirschel est convaincu que le test du VIH arrivera dans le bilan général de cette manière là d’ici dix ans. Cela questionne néanmoins sur la tension dans la communication entre le médecin et le patient, quant il apparait plus simple de prescrire le test sans le dire que l’inverse.

Le second point concerne le rôle du soignant, ou plutôt sa responsabilité, dans l’annonce de la séropositivité du patient à son partenaire ou ses partenaires. Une autre tension semble s’exercer quant au devoir d’information du patient à un partenaire sexuel. Cette tension prend évidemment source dans le contexte de la pénalisation de la transmission, même si la non-infectiosité des personnes en traitement a fait tomber cette injonction "légaliste" de dire. Dans le cadre du colloque, un deuxième cas est présenté et met en jeu l’information au partenaire, au père. En effet, au moment de l’accouchement d’une femme séropositive, la question se pose d’informer le père, ignorant la séropositivité de la mère, sur la nature des examens qui sont faits à l’enfant. A la demande de la mère, rien n’est communiqué au père et la question du staff médical est la suivante : si le mari avait découvert et porté plainte, est-ce que l’équipe serait toujours libre ? On observe ainsi un déplacement de l’information sur la séropositivité dans un contexte de prévention à sa mise en questionnement en termes de responsabilité et de conséquences pour le médecin.

Bernard Hirschel relevait dans sa présentation qu’une des motivations d’émettre les recommandations suisses en 2008 était notamment de lutter contre le stigma social. L’objectif est loin d’être atteint et il semble, ici, bien difficile de trouver de réponse que ce soit du point de vu médical ou juridique. Un petit bémol sur cette journée de réflexion l’absence du point de vue des patients, qui sont au bas mot autant acteurs de cette "comédie" que les médecins ou les juristes.

Commentaires

Portrait de Felix77

on a pas à donner notre sentiment. Le miens est pour stopper les psychopathes, mais ne pas partir du principe que tout séro+ est un psychopathe en puissance et surtout comment faire face aux lascars qui retirent la capote à notre insus. Mon sentiment est qu'on ne pourra stopper l'épidémie qu'avec une campagne de dépistage systèmatique, afin de mettre ceux qui s'ignorent sous traitement,