Maladroitement gay

Je poursuis pour m'interroger, ou je m'interroge afin de poursuivre l'étude d'opinion, homosexuel de droite, au fond ça veut dire quoi, ça représente quoi à mes yeux : un masochiste ? un usurpateur identitaire ? un ennemi ? rien ? à tout prendre, serais-je plus proche d'un affilié politique que d'un partenaire sexuel, je crois que je pourrais y répondre en affirmant que j'aurais du mal à comprendre et donc à aimer un mec de droite, c'est dans mes gènes, dans mes chromosomes, mon ADN, c'en est presque ridicule, et je suis cependant persuadé qu'il doit biens en exister de braves, de charmants, de volontaires et de probres,

l'enquête du Monde, comme le souligne Into The Wild, induit une énième mise en tiroir, c'est statistiquement assez pratique mais le but en paraît bien opaque,

à quel genre d'officine ce genre d'études peut-il bien servir ? 

pourquoi cet appel à témoins n'était-t-il pas ouvert, parallèlement, aux homosexuel-le-s de gauche, un vivier trop captif ? 

j'imagine immédiatement le gay de droite vivant en couple, satisfait de son crédit immobilier et des performanes de son partenaire, il aurait bien aimé pouvoir adopter, mais la loi l'interdit et ils se satisfont de la loi, pourvu qu'on leur bouffe pas toutes leurs économies dans une clinique californienne qui leur propose un bébé qui s'appellera Valentin, leur sympathie pour Sarkozy s'adresse comme à leurs pères, ils admettent quelques erreurs de parcours surtout en début de mandat, aussi vers la fin et voire même durant tout le quinquennat, ce type est formidable, c'est inné chez l'homme de droite, il faut toujours qu'il voit le bien partout, dans son camp, le plus souvent il sera catholique mollement pratiquant, prudemment critique à l'égard du Vatican et du diocèse, mais grosso modo, il se sent heureux à droite.

j'ignore encore dans quelle position, mais je vais me coucher, bonne nuit les hétéros.

Autrefois, j'étais un joli pays prospère qui fabriquait du fromage et des Opinel, évidemment tout le monde nous enviait notre triple A, il fallait voir tous ces touristes rassemblés devant l'entrée de la Pyramide du Louvre et à Eurodisney, on exportait un peu de boudin et des sous-vêtements féminins, c'est à peu près tout ce dont on était capables de faire, notre industrie cinématographique était elle aussi réputée, surtout pour nos films muets (au XXI e s., ça relevait de l'exploit), on passait à table un temps fou, le climat était tempéré, on avait eu un grand Général dont on célébrait chaque année sa force de résistance, l'été on partait vers le sud, les plages et les campings, ça s'appelait les congés payés, ça c'était avant, quand il y avait encore des industries, du travail, des syndicats et un patronat en désaccord, et des vacances

et puis, soudain, ce fut la crise, il fallut renoncer à partir à la retraite avant l'âge de la mort, tandis qu'il n'y avait déjà presque plus d'emplois, il y eut aussi un grave réchauffement climatique, mais les hivers devenaient bizarrement de plus en plus froids alors que nous n'avions plus les moyens de nous chauffer,

le jour où on a perdu notre triple A, je m'en souviens comme si c'était hier, ma mémé avait préparé des gaufres, on s'en foutait bien, ça faisait trois générations qu'on vivait du chômage et des allocations, quand même ça nous a ému qu'on puisse encore perdre quelque chose,

on nous a délocalisé, je crois que c'était juste après l'acte de vente de notre pays, on avait été rachetés soi-disant par un consortium privé d'investissements, basé dans un paradis fiscal, le paradis on aurait bien aimé l'apercevoir en vrai, mais c'était trop tard il avait été déplacé vers le Luxembourg, on travaillait désormais pour une firme allemande qui nous allouait une indemnité mensuelle en échange d'un petit boulot dans la haute-couture, on en a bavé, ça a duré une bonne quinzaine d'années, le temps de rembourser notre dette, les enfants n'allaient plus à l'école qu'une fois par semaine, il n'y avait plus de transports en commun, ni d'hôpitaux, tout était à notre charge et même le soir les lampadaires restaient éteints dans la plupart des cités,

l'insécurité tourmentait semble-t-il surtout notre entourage, nous étions confiants, parfois une patrouille de police venait prendre un café, j'aimais bien le commandant avec son regard glacé, volontaire, l'assistante sociale, elle, avait disparu je crois bien avant ma naissance,

à la télévision, nous regardions la percée des Chinois et des Indiens, ils étaient devenus nos employeurs et aussi nos amis, on mangeait tout comme eux, et c'est chez eux qu'on s'habillait, c'était pratique, toujours à notre taille et pas cher,

(à suivre... ou à ne pas suivre, on verra)

En 2012, le scrutin avait été douloureux. Au second tour, le candidat socialiste l'emportait face au FN, mais sa victoire ne lui apportait pas les moyens nécessaires à sa politique, en 2013 François Hollande était devenu aussi impopulaire que Sarkozy en 2012, le chômage ne faisait que croître, la dette était devenue abyssale, BB-, les promesses de retraite à 60 ans sentaient le sapin, les entreprises fermaient les unes après les autres, les niches fiscales s'étaient évaporées, en disparissant l'héritière de l'Oréal laissait des dettes, le mariage homosexuel ne rapportait rien, la légalisation du cannabis faisait désordre, à l'été 2014 il y eut cette incroyable canicule, suivie en hiver d'une terrible glaciation, les marchés s'écroulèrent,

ça doit être encore un effet secondaire de mon ARV, toujours si pessimiste...

... à gauche !

je comprends mieux l'enquête lancée par le Monde, ils cherchaient des pédés de droite, or, que nous annonce ce soir le CEVIPOF : même si les gays ne représentent officiellement que 6.5 % de la population, ils votent à 50% à gauche, mais aussi à 20% pour le FN.

son poids électoral est supérieur à celui de la population catholique pratiquante (source IFOP), et ses choix sont plus constants en termes d'intention de vote,

fidèle vis-à-vis de son élu de gauche... c'est assez touchant,

cette part du gâteau électoral se révèle fort alléchante, sauf du côté du FN où les verrous paraissent naturels, mais la porosité inévitable, chacun aimerait bien faire un geste prudent et sans aucune ambiguité vers les gays, mais sans avoir à assumer tout le bric-à-brac de leurs doléances à propos du mariage, de l'adoption, des transgenres et de leur sida, recueillir leurs voix mais sans autre engagement, comme d'habitude,

au suivant !