Vieillir

Publié par balwin le 21.07.2015
23 732 lectures

On s'autorise un petit Whisky Coca ce soir.

J'ai mal au vieillir.

Le Général n'avait pas tort : "Mourir, ce n'est rien, mais vieillir, c'est un naufrage."

En néerlandais, c'st qc comme wraak un naufrage ; ça veut dire ce que ça veut dire.

For being honnest, je regrette l'époque que l'on y passait vite fait bien fait.

Ce soir, un jeune homme, beau comme un Dieu, pétillance du regard, une certaine naïveté comme on peut l'avoir encore né dans les Années 80 dans un pays d'au-delà la Méditerrannée et que l'on va bientôt ôter à une femme sa "nubilité".

Quelques centaines de mètres plus loin, Gare St. Lazare, deux hommes se cherchent, auréolés d'une jeunesse pas si candide pour être hantée déjà par la convoitise, le désir presque flagrant et le fantasme énorme.

Aujourd'hui, je comprends qu'il faut ou tourner une page ou se disparaître.

Les morts prématurées et choisies deviennent limpides, presque normales : Affres de la solitude, de longs mois sans être touché, des années sans être embrassé ; désiré juste une heure qui s'affole et s'écrase comme une vague quand la mer se retire et qu'on entend : "Merci. T'es un bon coup. C'était trop bon."

Oui, on sait encore mouvoir son corps au rythme que vous imprime celui de l'Autre, mais ce n'est pas cela que l'on veut : "On ne peut pas ; on n'en peut plus."

Je ne me sens pas l'âge qui me tenaille car j'ai longtemps gardé une sorte de désir d'apprendre et fréquenté des gens assez jeunes pour me transmettre leur curiosité, leur envie d'aller plus avant dans des recherches souvent moquées. Que l'on se gaussât nous importunait finalement peu ; on concevait même une certaine fierté à être à contre-courant, à ne pas nous laisser "bouffer" par les tendances du temps, celles qui vous apprennent à ne pas penser, ne pas avoir d'état d'âme. Langues' O a qc de beau, c'est une maison merveilleuse, noble ; mais noble de cette noblesse qui fume, boit, réfléchit, se perd dans des thèses shiteuses qui servent à dix spécialistes dans le monde au mieux.

Et puis, les événements de la vie, le vieillissement d'autrui, leur propre folie, l'accumulation de la fatigue nous détournent une année, puis deux, puis une de trop de votre "travail" de recherche.

Il faut dire aux jeunes gens de rester ensemble quand l'amour est là, que la jeunesse imprime dans sa cire molle des souvenirs et des sentiments forts - car cela jamais ne revient. Pardonner les frasques de son ami : Il en a baisé un autre ? Et alors ? C'est toi qu'il aime, avec toi qu'il vit, avec toi qu'il restera.

Il ne faut pas louper ça : Quand, à mon âge, on le regarde de loin, on regrette, regrette un peu comme dans All by Myself.

Tu sais, ce ne sont pas des conneries tout ça petit mec, même si c'est dur de penser à la ménopause à 20 ans.

Moi, j'avais cette autre difficulté que je ne m'aimais pas - l'homophobie m'a modelé et bien avant le sida !

Je n'avais pas de charme, une incapacité à sourire, parce que je pouvais avoir peur que mes dents fussent laides, alors qu'elles n'étaient que légèrement écartées : à l'époque, on n'était pas dans un trip "ortho" uniformisant.

Souvent, longtemps, j'ai eu recours à l'alcool, puis à quelques drogues : je ne pouvais pas avoir cette aisance des "folles" des Années 80, j'étais déjà trop ailleurs quand je devais découvrir Le Marais, ses codes, sa violence "éjective".

Comme j'ai souvent ravalé mes larmes en prenant le métro qui m'amenait au dernier train de banlieue : Banni, je l'étais en effet et, vu par qn d'autre, auto-banni. Il n'en est pourtant rien : je n'étais que fort timide et il fallait une acuité, une grande force désirante de mâle pour savoir, comprendre qui se cachait - et est toujours - derrière ce "Masque de chair" (Un introuvable de M. van der Meersh.).

Cependant, à l'époque qu'un vieil Ami maltais venait souvent à Paris, nous sortions et, dispensé de la peur par un peu d'éthyl, j'avais du succès. J'avais une belle petite gueule et j'étais bien fait, les fesses rebondies - enfin, jusqu'au °Zerit et autres °Crixivan : "Lol" comme on dit ; oui, plutôt pas mal, mais, amer constat, je n'en ai jamais profité au sens d'un profit sur autrui ; je n'ai même jamais repoussé avec une violence écoeurée un vieil homme car dès l'adolescence je savais que ce vieil homme était en germe chez moi, comme un changement linguistique déjà en marche mais que l'on ne voit pas si l'oeil n'est pas aguerri.

Si mon oeil l'était, mon coeur, ma sensibilité un peu trop exacerbée, ma sentimentalité et les retentissements de ma sensualité quand on savait l'émouvoir ne l'ont jamais été, "aguerris".

Cela me fait penser à cette incapacité presque de principe qu'ont nombre de ces Messieurs à entendre que l'on puisse aussi bien s'émouvoir d'Angélique, d'une rengaine de Dalida que de Culioli, Peirce ou Wittgenstein : à la limite vous tolère-t-on un peu de Barbara.

Si il en est une pour avoir chanté tous ces moments de la vie, c'est bien La Môme : je l'ai beaucoup écoutée à 20 ans ; à 40 ans, je finis par comprendre ; maintenant comme je voudrais gésir à côté de sa passion !

Qu'il me soit enfin donné de ne plus avoir mal.

"Young man", profite de ta jeunesse sans blesser quiconque, sans t'abrutir dans une Ecole qui t'obèrera dix ans après qu'elle t'aura formaté à l'ignorance - surtout celle du coeur. Fais du grec, ose Langues'O, Normale, fais au moins une année d'hypokhâgne : Ces formations empêchent souvent de sombrer quand tout vous semble aller à vau-l'eau.

Comme je l'ai souvent dit - et on me l'enseigna enfant : "Mon petit, sachez que, dans la vie, le pire n'est pas de ne pas être aimé, mais de ne plus aimer". Cette Dame, qui m'enseigna précocement l'anglais, le piano et avait eu 20 ans en 1914, n'était pas dupe de ce qu'elle disait : à 85 ans, elle restait belle, fraîche et élégante et savait captiver quantité de jeunes gens, parfois les fédérer, autour d'elle.

<!--break-->

Quelle douceur que de s'enivrer et de savoir qu'à portée de mains, là, il y a une dose létale ! de pouvoir dire enfin cette souffrance qui m'est restée d'une fidélité parfois d'un registre obsidional.

(Vous voyez que ça sert de faire du latin !)

"Ne plus aimer", ce n'est pas un état de mélancolie profonde, même si son oméga s'est imprimé sur mon front : non, ne plus aimer, c'est quand l'on sent que l'on est en manque d'un Autre, un manque viscéral de son sexe en soi, de ses caresses, ses baisers quand se mélangent les salives, quand se mêlent les urines, qu'un regard dit tout, quand l'on est par delà le langage articulé, quand les peaux s'entendent comme aux origines.

C'est ça, ce moment tragique ("La tragédie, c'est le drame au moment que l'on s'y attend le moins" disait J. de Romilly, cette femme qui m'aura tant aidé pendant 20 ans ; Elle me manque, comme elle me manque !), ce moment tragique où cet Autre qui manque constamment n'a plus même le visage d'un souvenir.

Disant ces choses, finalement banales dans ce monde qui nous occupe plus que nous ne l'occupons,  je ne sombre nullement dans un Laudator temporis acti ou un "C'était mieux avant", non : je crois avoir assez réfléchi à ces écueils. A l'identique, je continue de réfléchir à pourquoi on peut dire (supra) "ce monde" et non "le monde".

Seulement, cela ne suffit pas à me sauver ; ça ne marche plus. Pas que je veuille mourir vraiment, mais quitter une vie qui ne répond plus à mes attentes et n'y aura que rarement répondu, oui.

C'est un peut comme le tabac, "on fume rarement pour mourir". Il s'agit juste de cette envie taraudante, térébrante d'un regard, des bras, le regard d'un Homme qui vous désire, a envie de partager de son temps à lui avec vous.

L'alcool agit et je ne sais pas m'empêcher (ce belgicisme m'affranchira ; après tout, c'est de là que je viens, "Ce français du Nord qui n'aimait que le sud." écrivait Yourcenar.) : "Regard" se dit katso en finnois et se mêle merveilleusement à katse "la rosée" . 

Cela évoque au plus loin le plus beau, cette humidité fraîche du premier regard d'un Homme pour vous : N'est-ce pas de l'ordre du merveilleux ?

(Cela me fait penser à JL Lagarce.)

Quelque chose de l'éternelle modernité de Shakespeare, l'Amour, l'essence de l'être.

Alors, non, je ne finirai pas avec des accessoires devant des vidéos pornos et force produits. Ever !

Bien sûr que j'espérais autre chose ! c'est pour cela que l'on meurt quand l'on n'a pas la carrure pour tolérer tout cela ou que le bât trop longtemps a pesé.

Je ne crois pas que cela serve à grand chose que de commenter ce que l'on écrit, le langage étant d'ores et déjà cette expression matérielle de l'affect et du chemin qui mène de l'affect à la pensée.

Pas davantage d'anticiper des réactions que l'on sait d'avance négatives en leur funeste ancrage.

Il m'est arrivé, je l'espère, d'apaiser la détresse et le désarroi d'aucuns ici autrefois, aujourd'hui dans un ailleurs qui ne nous appartient pas.

Il y a eu un regard que j'ai passionnément aimé, à mon insu, comme lorsque l'on tombe amoureux.

Comme il m'est arrivé de presque défaillir sur la route qui mène de Cassis à Marseille la nuit tombant par un soir de février.

Comme il m'est arrivé d'y apprendre JL Lagarce.

Oui, j'ai aimé. Et si je meurs, c'est de ne plus aimer. Ce n'est pas parce que tu ne m'aimes pas.

Et, tout à coup, voilà que c'est ton visage qui apparaît, ta tendresse qui remplace les traits grotesques de cette absence qui n'en a plus.   

Cependant ne laisse de me faire souffrir.

Cependant artefact que tes traits.

Il importe de se retirer quand l'on devient bête et attendrissant comme un bâtard. 

    

          

   

Commentaires

Portrait de bubulle

jean-rene wrote:

C'est cette acceptation qui me semble le remède à l'angoisse de vieillir.

Le mot clef tu l'as c'est l'acceptation.

Se laisser aller et apprendre la fatalisme dans ce qu'il a de positif.

C'est la maladie de l'Occident : la non acceptation de ce qui nous arrive. 

Nous luttons, nous progressons, nous nous modernisons, nous vieillissons moins vite...mais à quoi bon?

Laissons nous vieillir! Laissons nous aller! Laissons nous mourir!

Portrait de jean-rene

Tout à fait, Bubulle, ma "philosophie", dont j'ai parlé plus haut,  a des racines en Orient.

Je te cite quelques aphorismes de mon maître :

"Etre au monde sans être du monde".

"Se garder de l'avoir, du pouvoir, du vouloir et du savoir".

"Vivre sans regret ni projet".

Pour moi :

Prendre conscience du fait que la personne et la liberté sont des illusions et que moins je veux, plus je peux.

Saisir toutes les opportunités qui se présentent comme autant de cadeaux.

Considérer les épreuves comme des occasions de faire de nouvelles expériences.

Je t'assure que ça aide à vieillir.

Portrait de bubulle

J'y crois et tu matérialises par des mots ce vers quoi je tends, particulièrement depuis l'annonce de ma seropositivité qui, contre toute attente, a  produit en moi une mini revolution intérieure et une recherche du vrai permanente. 

Je cherche à "désoccidentaliser" mon esprit depuis pas mal de temps. 

Je serai à l'écoute!

Portrait de balwin

Jean-René est un homme très sensible, doux et attentionné.

Il est bien légitime qu'il parvienne à un peu de sérénité désormais, car il est des êtres qui vivent plus intensément que d'autres le bon et le mauvais.

 Qu'il y ait chez certains des inflammations dans le SNC, nous le saurons dans qq siècles peut-être, mais ce sera triste car il n'y aura plus de Mallarmé.

 La difficulté est la faille, cette atteinte qui vient de soi, de l'intérieur ; non le vieillir qui est reflet social.

 

Si nous avons tous besoin d'être touchés, nous ne sommes pas tous menacés par le vide.

Portrait de IMIM

Il y a les caractères optimistes et les pessimistes Et puis il y a la déprime et la dépression....

Un moment de déprime, c'est passager Mais faut pas que ça dure....

Il existe aujourd'hui des "ateliers calins" C'est dire à quel point le monde est en manque !!!

Egalement des ateliers" massages" et d'autres "rigolades" !! Peut-être à creuser ...

Je suis une funambule

Il m'est arrivé de chuter sans filet, jusqu'à ce que je trouve "la baguette" qui me permette de garder l'équilibre

Et de savoir la dangerosité des  pirouettes sur le fil !!!!

Pour les SNC, malgré le peu de connaissances à ce sujet, ça m'a aidé a rationaliser

Idem pour les "coup de foudre" qui risquent bien de te griller sur place !!mdr!!! 

Pour Mallarmé (mal armé/ m'alarmer !!!) faut que je me renseigne !!!!MDR

Prenez soin de vous Kiss

Portrait de balwin

Je pensais au "système nerveux central".

Quant à la dépression chronique, c'est plutôt une horreur.

Oui, le manque est commercialisé.

Portrait de IMIM

"chez Mallarmé, l'angoisse de la feuille blanche, c'est d'abord la crainte de la salir par une inspiration trop banale, incapable d'atteindre l'Azur. Poésie d'exigence pour le lecteur aussi, toujours sur le point de comprendre l'Idée, presque capable de remonter à la source où la pensée a jailli, mais qui, en définitive, perd pied encore et encore."


Il faudrait que je prennes le temps de le lire

J'avoues manquer sérieusement de concentration....

SNC !? mdr G traduit le S en Syndrome nerveux quelque chose....!!!! c dire la névrose !!!!!......

Une fois c t RP G cru à de la politique C t la Région Parisienne !!!MDR

Dsl pour ces "traductions" d'abréviations innoportunes ...Smile

Portrait de balwin

Il n'y a pas longtemps on m'a dit "incinèration" pour "insémination".

"Elle s'est fait faire une incéniration."

Quant à Mallarmé, je ne l'ai jamais lu je crois,  mais je suis sûr qu'en ce moment je n'ai pas envie de

passer mes samedis soirs avec lui !

Les jours où l'on ne bosse pas, c'est hard quand même.

Bonne soirée

Portrait de Aradia