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Accès aux traitements innovants : les essais cliniques sont-ils un frein ou un accélérateur ? 

Tabassome Simon 
Professeur de pharmacologie clinique, service de pharmacologie et université Paris VI, hôpital Saint-Antoine, Paris 

En sortant de la projection de Dallas Buyers Club, les spectateurs sont légitimement émus par le film et notamment par la performance des 2 acteurs principaux, justement récompensée il y a peu à la cérémonie des Oscars (Oscars, respectivement, du meilleur acteur masculin pour M. McConaughey, et du meilleur second rôle masculin pour J. Leto). D’autres pourront s’interroger devant la représentation donnée dans cette oeuvre du processus de développement des nouvelles molécules. 

Dallas Buyers Club raconte l’histoire d’un électricien texan, Ronald Woodroof, qui refuse le pronostic catastrophique que lui annoncent les médecins après la mise en évidence de sa séropositivité au début des années 1980. Il décide alors de prendre en charge seul sa maladie et de faire profiter les autres de son expérience. Il va donc acquérir, au Mexique, des produits non approuvés par la Food and Drug Administration (FDA) pour se soigner et pour les distribuer. Pour ce faire, il fonde un “club d’achat” dans lequel les patients, moyennant un paiement mensuel, se voient offrir ces produits. Woodroof meurt 7 ans après le diagnostic initial, et le film lui rend hommage pour son rôle dans la lutte contre le sida. 

Cette fiction “inspirée de faits réels” accuse les médecins et la FDA d’être de connivence avec les laboratoires pharmaceutiques et de faire perdre du temps aux patients en réalisant des essais au lieu de les soigner. Ainsi, apprenant qu’un premier essai randomisé avec l’AZT est en cours à l’hôpital Mercy de Dallas, Woodroof soudoie un agent hospitalier pour obtenir la molécule active et éviter de recevoir un traitement placebo. Pour le spectateur non averti, la nécessité du groupe placebo dans un essai randomisé en double aveugle pour traiter une maladie mortelle peut paraître éthiquement inconcevable. Pourtant, seule une méthodologie rigoureuse permet une évaluation non biaisée du rapport bénéfice/risque d’une nouvelle molécule, et donc d’éviter d’exposer inutilement des patients à des risques. C’est le meilleur moyen de protéger les patients, et par conséquent de respecter l’éthique médicale. Le rôle des comités de protection des personnes participant à la recherche est, notamment, d’être garant du respect de ce principe. 

La dose d’AZT utilisée dans les premiers essais s’avère efficace sur l’allongement de la survie (1), mais au prix d’effets indésirables graves (2), y compris chez le héros du film, qui, dès lors, accuse les médecins d’empoisonner les patients inclus dans l’essai. Le rationnel du choix de la forte dose d’AZT utilisée était fondé sur les données in vitro et sur la crainte de ne pas parvenir à bloquer la réplication viraleavec des doses plus faibles (3). D’autres essais démontreront plus tard un meilleur rapport bénéfice/risque de doses plus faibles. Comment pouvons-nous expliquer au spectateur non averti le processus de choix des premières doses dans des essais de phaseprécoce, la nécessité de rechercher la dose maximale tolérée et la détermination de la dose optimale à évaluer dans un essai de phase III fondé sur des essais de gammes de doses en phase II ? 

Le Club reproche aux médecins de ne pas utiliser les produits alternatifs non approuvés pour traiter les symptômes de leur maladie. Ainsi, il plaide l’efficacité et distribue le peptide T, dont il sera prouvé, quelques années plus tard, qu’il était inefficace (4). 

Le générique de fin du film souligne que l’utilisation de médicaments antirétroviraux, dont l’AZT, a permis de sauver des millions de vie. Il n’est pas certain que le spectateur impute ce succès au fruit d’essais cliniques rigoureux. 

Les clubs ont été des structures mises en place par des patients désespérés, s’automédiquant en suivant la plus petite rumeur d’espoir. Faut-il conclure à leur inutilité ? Certainement pas ! Woodroof et ses amis encouragent les membres du Club à améliorer leur alimentation, à éviter la consommation de drogues ou d’alcool et à se reposer. Ces conseils de bon sens, d’autant mieux perçus qu’ils venaient de patients ayant la même pathologie, ont permis d’améliorer leur immunité et leur qualité de vie. Parallèlement, les clubs ont exercé une pression constante auprès du National Institute of Health (NIH) et de la FDA pour accélérer le développement et l’utilisation des antibiotiques et des antifongiques dans le traitement des infections opportunistes. Les autorités ont accepté, compte tenu de l’urgence sanitaire, d’évaluer en “fast track” des dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM). En fait, le développement clinique des traitements antirétroviraux et de ceux des infections opportunistes a finalement été très rapide, et a même été jugé trop rapide par certains experts, comparativement à ce qui est observé dans les autres pathologies. 

Outre la performance des acteurs, l’intérêt du film est de rappeler que le patient est le premier acteur de sa santé et de montrer la force des associations de malades. Une collaboration étroite entre soignants, chercheurs et associations permet la mise en place d’essais cliniques de qualité, garants de l’innovation et du progrès dans la prise en charge des malades.

 

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