VIH et justice : plus de sciences et moins de procès pour des experts canadiens

Publié par jfl-seronet le 08.06.2014
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Droit et social

La prise de position est récente (2 mai 2014) et particulièrement importante par son ampleur et son sujet. Cette prise de position prise par plus de 70 experts scientifiques des quatre coins du Canada avance que "le droit criminel actuel va trop loin dans les poursuites pour non-divulgation du VIH". Que dit le texte canadien ?

"Ce matin, plus de 70 experts scientifiques des quatre coins du Canada ont rendu public un important énoncé de consensus faisant état de la possibilité de faible à nulle qu’une personne vivant avec le VIH transmette le virus dans diverses situations", explique d’entrée le communiqué de presse du Réseau juridique canadien VIH/sida. Ce texte est sorti "en réponse à une préoccupation selon laquelle une piètre appréciation de la compréhension scientifique du VIH et de sa transmission contribue au recours excessif à des accusations criminelles pour des allégations de non-divulgation de la séropositivité au VIH". Voilà pour le constat. Et voilà le point de départ du texte de consensus publié par les 70 experts scientifiques canadiens… "Fondé sur un examen complet des données scientifiques les plus récentes et les plus pertinentes, l’énoncé confirme que le droit canadien actuel va trop loin et fait fi de la science. Nous accueillons favorablement les interventions de scientifiques dénonçant les nombreuses poursuites injustes à l’encontre de personnes séropositives au VIH qui ont cours, au Canada, et qui conduisent trop souvent à des peines draconiennes pour des actes qui ne comportaient pas de risque significatif de transmission du virus", indique le communiqué.

Une initiative saluée

Le Réseau juridique canadien VIH/sida, la HIV & AIDS Legal Clinic Ontario (HALCO), la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le VIH/sida (COCQ-SIDA) et le Groupe de travail ontarien sur le droit pénal et l’exposition au VIH ont applaudi cet énoncé de consensus. "En 2012, nous avons exprimé notre vive déception à l’égard des jugements de la Cour suprême du Canada dans les affaires R.c. Mabior et R.c. D.C. En vertu de ces arrêts, des personnes vivant avec le VIH peuvent être emprisonnées et inscrites à vie au registre des délinquants sexuels pour ne pas avoir divulgué leur séropositivité, même si elles ont utilisé un condom ou avaient une charge virale faible, n’avaient aucune intention de causer un préjudice et n’ont pas transmis le VIH", rappelle le Réseau dans son communiqué. "Nous avons qualifié ces décisions d’injustes, de néfastes pour les individus et la santé publique, et de contradictoires à la science. Depuis, nous avons vu des juges de première instance confrontés aux difficultés qu’elles posent, en particulier lorsque cette approche excessivement large passe outre aux preuves scientifiques", indique-t-il.

Justice : les scientifiques aussi sont préoccupés

"Aujourd’hui, des scientifiques exposent à leur tour leurs préoccupations devant la sur-utilisation continue de certains chefs d’accusation parmi les plus sérieux du Code criminel, dans des circonstances où des poursuites sont totalement injustifiées. Dans l’énoncé de consentement publié aujourd’hui, ils adressent un message clair aux procureurs de la Couronne et aux juges, les exhortant à la retenue", explique le Réseau.

"De fait, l’analyse des faits que livrent les scientifiques appuie notre appel de longue date à un recours au droit criminel qui soit, tout au plus, extrêmement limité. Entre autres, la science appuie la position selon laquelle des personnes qui pratiquent le sécurisexe (par exemple en utilisant un condom) ou qui suivent une thérapie antirétrovirale efficace ne devraient pas être poursuivies ni déclarées coupables de non-divulgation du VIH. Des poursuites dans de telles circonstances vont à l’encontre des données scientifiques disponibles, qui démontrent que le risque de transmission est négligeable, voire nul. Un tel recours abusif au droit criminel ne contribue en rien à ralentir l’épidémie du VIH ; il éloigne les gens d’un accès à des services efficaces de prévention, de soins, de traitement et de soutien pour le VIH".

"Nous saluons la position exprimée aujourd’hui par des experts médicaux et des scientifiques des quatre coins du Canada et appuyée par l’Association pour la microbiologie médicale et l’infectiologie Canada. Il est temps que le système de justice pénale canadien tienne compte de ce que la science révèle au sujet du VIH et de sa transmission ; ces preuves ne peuvent être légitimement écartées", conclut le réseau.

Un document consensuel canadien sur le VIH et sa transmission dans le contexte de la justice criminelle
Voici, en résumé, la position de consensus des experts canadiens du VIH. "En raison d’une mauvaise appréciation des données scientifiques liées au VIH, la justice criminelle est beaucoup trop mise à contribution contre les personnes qui vivent avec le VIH et ne divulguent pas leur maladie", avancent-ils. "Afin de promouvoir une application de la loi canadienne fondée sur des données probantes, une équipe de six experts médicaux canadiens du VIH et de sa transmission ont dirigé l’élaboration d’un document consensuel sur la transmission sexuelle du VIH, sa transmission par les morsures ou les crachats et son évolution naturelle. Le document de principes repose sur une analyse bibliographique des données scientifiques les plus récentes et les plus pertinentes (en décembre 2013) au sujet du VIH et de sa transmission. Il est avalisé par plus de 70 autres experts du VIH au Canada et par l’Association pour la microbiologie médicale et l’infectiologie Canada". Ça, cela concerne la partie méthologique du travail.

Alors quelles sont les conclusions ?
"Les données scientifiques et médicales établissent clairement que le VIH est difficile à transmettre pendant les relations sexuelles. Pour guider le système judiciaire, la possibilité réelle de transmission lors d’une relation sexuelle, d’une morsure ou d’un crachat est décrite dans un continuum de faible possibilité, de possibilité négligeable et d’aucune possibilité de transmission. Ce continuum tient compte des effets de facteurs comme le type d’acte sexuel, l’utilisation de condoms, la thérapie antirétrovirale et la charge virale. Les progrès considérables des traitements du VIH ont transformé l’infection par le VIH en une maladie chronique pouvant être prise en charge", expliquent les experts. "Les médecins et les chercheurs spécialisés en VIH ont la responsabilité professionnelle et éthique d’aider les personnes qui évoluent dans le système de justice criminelle à comprendre et interpréter les recherches sur le VIH. C’est essentiel pour éviter les erreurs judiciaires et pour dégager tout obstacle inutile aux stratégies de prévention du VIH fondées sur des données probantes".

Pour lire l’énoncé de consensus complet, consultez le site Internet du Journal canadien des maladies infectieuses et de la microbiologie médicale. Le texte est téléchargeable uniquement en anglais, un résumé est disponible en français.

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Portrait de PY

La version française de l'énoncé de consensus a été publiée la semaine dernière : http://www.cocqsida.com/assets/files/ressources/consensus_experts_canadiens_juin2014.pdf