"Crise des opioïdes"

Publié par jl06 le 29.08.2019
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"Crise des opioïdes" aux Etats-Unis : de quoi parle-t-on ?

 

Avec 400.000 décès en moins de vingt ans, les antidouleurs à base d’opioïdes font des ravages aux Etats-Unis. Et pour cause, leur vente a été, pendant longtemps, très peu encadrée par les pouvoirs publics.28 août 17:02

Aux Etats-Unis, une amende de 572 millions de dollars a été infligée au laboratoire Johnson & Johnson, lors du premier procès à la suite de la crise des opioïdes qui frappe le pays. Le groupe pharmaceutique a été condamné par un juge de l’Oklahoma pour avoir adopté des pratiques "trompeuses de marketing et de promotion des opiacés". S'il estime pour sa part avoir respecté la loi, croyant bon de rappeler que ses médicaments ne représentaient que 1% du marché des opiacés, le laboratoire pourrait bien être l'arbre qui cache la forêt. De fait, d'autres groupes pharmaceutiques envisageraient d'accepter de payer des sommes importantes pour éviter de passer par la case justice. 

Crise des opiacés aux USA : amende record de 572 millions de dollars contre Johnson & Johnson

Il faut dire que les autorités semblent désormais déterminées à lutter contre ce fléau. L'Amérique, qui concentre 80% de la consommation mondiale selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), fait face depuis de nombreuses  années à une véritable crise sanitaire.

De quoi s'agit-il ?

Disponibles sur ordonnance ou bien sur internet, les opioïdes sont en réalité des substances psychotropes de synthèse, comme l’héroïne ou le fentanyl, ou naturelles, comme les opiacés. Utilisés comme antidouleurs, leur prise entraîne généralement un fort risque d’accoutumance.

Aux Etats-Unis, se joue actuellement une véritable crise sanitaire, avec un pic de mortalité enregistré en 2017 lié à la prise d’opioïdes. Ces pilules seraient en effet responsables "de plus de deux tiers des 72 000 décès par surdose" dans l’année, peut-on lire dans un rapport de la sociologue Ivana Obradovic, datant de décembre 2018. Et aurait pour la première fois entraîné un recul de l’espérance de vie des Américains. Entre 1999 et 2017, 400.000 décès ont été constatés par surdose d’opioïdes, selon des chiffres des autorités fédérales. La population âgée de 25 à 54 ans est majoritairement touchée par cette consommation. 

EN VIDÉO

ARCHIVES - La dépendance aux opioïdes ravage les États-Unis  C’est dans les années 1990 que la prescription d’opioïdes a été élargie à tout type de douleur chronique, entraînant une hausse considérable de leur consommation. Et ce n’est que vingt ans plus tard que les autorités se sont décidées à restreindre leur accès sur le marché. Mais la vente illégale de ces médicaments n’a cessé d’augmenter en parallèle. À partir de 2013, des opioïdes de synthèse, fabriqués pour la plupart en Chine et au Mexique, ont commencé à pulluler sur le "dark net". Face à cette crise, Donald Trump a fini par déclarer l’état d'urgence sanitaire en octobre 2017, débloquant six milliards de dollars pour accentuer la prévention et faciliter l’accès à la Naxolone, un traitement d’urgence aidant à soulager les effets d’une surdose. Pour autant, beaucoup de spécialistes jugent que le gouvernement ne fait pas assez pour endiguer le problème. Selon des estimations, au moins 500 000 décès supplémentaires devraient être causés par l’usage d’opioïdes dans les années à venir. 

La France est-elle concernée ?

Si la hausse de consommation d’opioïdes inquiète outre-Atlantique, la France n’est pas en reste. L’arrivé du fentanyl sur le marché français a particulièrement alarmé le gouvernement, qui s’est employé à mettre en place "un plan de veille et de repérage des ’signaux faibles’" pour anticiper une éventuelle crise, selon le rapport d’Ivana Obradovic. Entre 2006 et 2015, la consommation d’opioïdes fort a augmenté de 150 %, selon les chiffres de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM). En 2015, pas moins de 10 millions de Français s’étaient vus prescrire ces antidouleurs. 

Selon l’ONUDC, la France dénombre entre 300 et 400 surdoses mortelles par an, liées à la méthadone (40%) ou à l’héroïne (20%), suivies des médicaments opiacés (12%). Dans son rapport, l’ANSM rappelle par ailleurs qu’un antalgique opioïde, "qu’il soit faible ou fort, expose à un risque de dépendance, (...) de surdosage et de dépression respiratoire pouvant conduire au décès". 

 

Commentaires

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Fentanyl : le médicament qui tue, né comme analgésique pour les patients cancéreux

Un opioïde synthétique 100 fois plus puissant que la morphine: la dose mortelle est un grain, il suffit de le toucher ou de l'inhaler. Les policiers qui effectuent les saisies sont équipés de combinaisons hermétiques et de masques obligatoires. Riccardo Gatti, directeur du département de la dépendance inter-entreprises - ASST Santi Paolo et Carlo de Milan parle de la substance

Qu'est-ce que c'est

Synthétisé pour la première fois en 1960 par Paul Janssen, le fentanyl est un analgésique puissant, un opioïde synthétique qui est utilisé pour le traitement de la douleur, notamment en oncologie, alors qu’il est associé à d’autres substances, il est également utilisé pour l’anesthésie. L’Organisation mondiale de la santé l’a inscrit sur la liste des médicaments essentiels pour le traitement du cancer avancé.

(Getty Images)(Getty Images)  

En pratique clinique

Grâce à la possibilité de libération contrôlée via des timbres transdermiques, le fentanyl est devenu l’opiacé le plus répandu dans la pratique clinique, où sa gestion est soumise à un contrôle médical strict en raison de ses puissants effets, mais "en l’utilisant conformément à sa prescription et en la gérant correctement, en: il n'y a pas de problèmes ", explique Riccardo Gatti, directeur du département des dépendances interentreprises - ASST Santi Paolo e Carlo de Milan .

Effets secondaires

Ses effets secondaires courants vont des vomissements à la constipation, en passant par les problèmes de coordination. Il ne faut que très peu pour dépasser le seuil de surdosage et expérimenter des effets indésirables plus risqués, tels qu'une dépression respiratoire ou des hallucinations. 

La surdose de médicaments peut conduire au coma et à un arrêt cardiaque jusqu'à la mort.

(Getty Images)(Getty Images)   Nous mourons aussi par contact

Le fentanyl provoque également la mort par contact: il suffit de le toucher ou de le respirer. La police reçoit des doses de naloxone (utilisées en tant qu '"antidote") dans le cas où elle devrait intervenir en cas d'urgence pour tenter de sauver une personne surdosée. Les costumes et les masques hermétiques sont indispensables pour ceux qui font des crises (également pour éviter la contamination). Évidemment, le problème est plus important lors de la manipulation de grandes quantités.

(Getty Images)(Getty Images) 

Des dérivés encore plus mortels

Parmi les plus de 50 dérivés du fentanyl utilisés en tant que médicaments, le plus puissant est le carfentanil, dont l'effet analgésique est 10 000 fois supérieur à celui de la morphine (médicament largement utilisé en médecine vétérinaire pour immobiliser de grands animaux, comme les éléphants). «Dans les laboratoires clandestins, la molécule de fentanyl est reproduite et modifiée pour obtenir des dérivés opiacés de différentes puissances - explique l'expert -. Les grossistes en médicaments utilisent du fentanyl ou des molécules dérivées pour améliorer l'héroïne, la cocaïne et la méthamphétamine (leur prix est compétitif), mais cela augmente le risque de surdose, car il est difficile de doser des substances aussi puissantes ».

(Getty Images)(Getty Images)  

Que se passe-t-il aux États-Unis?

Selon les CDC, en 2018, le fentanyl était l'opioïde qui causait le plus de décès par surdose aux États-Unis. "Le fentanyl n’existe pas en tant que nom dans le jargon du marché des médicaments, car il est utilisé conjointement - dit Gatti -. Les consommateurs ne savent même pas s’il est présent: c’était une "proposition de marché". Ceux qui peuvent rechercher directement le fentanyl sont des personnes qui sont devenues dépendantes aux opiacés pour des raisons de santé et qui ont continué à rechercher la substance illégalement, phénomène particulier aux États-Unis qui explique en partie l'augmentation du nombre de décès par surdose au centre des dernières années. affaires judiciaires ».

 

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Portrait de frabro

Ce n'est pas le produit qui tue mais l'usage qui en est fait, ou plutôt le mésusage. Toute molécule produite pour soigner avec des dosages précis peut s'avérer dangereuse lorsque le dosage n'est pas respecté.

Il n'en reste pas moins que beaucoup de malades souffrant de pathologies graves provoquant des douleurs intenses doivent être soignés pour la douleur et que les opiacés sont efficaces dans ces cas. Même si celà produit une dépendance, cela permet aussi de vivre sans être dominé par la douleur permanente.

La responsabilité incombe aux médecins de prescrire intelligeamment et aux distributeurs de ne pas donner au delà de la dose prescrite. 

Après, rien n'empêchera le marché noir qui est le vrai combat à mener? En France, on confond toujours la lutte contre la dépendance et les trafics avec la lutte contre le produit... C'est bien dommage !

 

Portrait de jl06

Overdoses aux opioïdes : Plus de 500 décès par surdose « auraient pu être évités » en 2017

ANTIDOTE Des antidotes existent, mais ils restent trop peu accessibles aux patients comme aux professionnels de santé

20 Minutes avec AFP

Image d'illustration de Tramal (tramadol), un antidouleur addictif.Image d'illustration de Tramal (tramadol), un antidouleur addictif. — Adel Hana/AP/SIPA

Un produit trop peu connu contre les overdoses. L'association France Patients Experts Addictions et plusieurs spécialistes dénoncent le manque d'accessibilité des antidotes à base de naloxone pour stopper en urgence une surdose d'opioïdesmédicamenteux ou illicites comme l'héroïne. 

La situation en France est certes sans commune mesure avec la crise des opioïdes aux Etats-Unis et leurs plus de 70.000 décès en 2017, selon le ministère de la Santé. Mais «plus de 500 décès par surdose, dont près de 80% en lien avec les opioïdes recensés en 2017, auraient pu être évités», a-t-il souligné à l'occasion de la journée internatioale de sensibilisation et de prévention des overdoses, le 31 août.

Des kits prêts à l'emploi

La tendance à l'augmentation des overdoses ces dernières années est préoccupante, en particulier celles dues à des médicaments antidouleurs, selon le Pr Nicolas Authier de l'Observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma). «Entre 2000 et 2015, les décès par overdoses d'opioïdes médicaments (hors héroïne et méthadone) sont passés de 75 à 200», dit-il et «c'est probablement une sous-estimation». Quand une douleur s'exacerbe, le patient peut multiplier les prises et provoquer un surdosage sans pour autant qu'il y ait addiction, prévient-il.

Des kits d'antidote prêts à l'emploi pour stopper l'overdose en attendant l'arrivée des secours sont actuellement commercialisés en France: une forme injectable en intramusculaire, le Prenoxad depuis mai 2019, et un spray nasal, le Nalscue (35 euros environ) depuis 2018. Ce dernier, non remboursé faute d'accord avec les pouvoirs publics, se trouve seulement dans les hôpitaux et des centres d'accueil et de soins spécialisés dans les addictions (CSAPA et CAARUD).

Disponible dans une pharmacie sur 40

Les pharmacies peuvent en revanche délivrer le Prenoxad (23 euros) avec ou sans ordonnance. Il n'est remboursé à 65% que sur prescription. France Patients Experts Addictions réclame lundi notamment, outre une large accessibilité de l'antidote, un remboursement à 100% sur ordonnance et la diffusion en pharmacie de sprays à des prix accessibles et des distributions gratuites là où c'est nécessaire.

«D'après un testing réalisé avec une association d'usagers de drogues, l'antidote n'était présent que dans une pharmacie sur quarante et les deux-tiers des pharmacies ne connaissaient pas ce produit», relève le Pr Michel Reynaud, président du Fonds actions addictions qui juge «la procédure trop compliquée». Les pharmaciens doivent commander le produit injectable directement au laboratoire, car il n'est pas référencé par les grossistes.

Du spray pour les services de secours

«Il ne suffit pas de faire un plan de lutte contre les overdoses, il faut une mobilisation et une formation des professionnels (médecins, pharmaciens...) mais aussi des consommateurs, y compris pour ceux qui prennent des opioïdes contre le mal au dos et d'autres douleurs chroniques, et leurs proches afin justement que les 80% de morts reconnus comme évitables par le ministère soient évités», lance ce spécialiste.

Il faut trouver l'équilibre entre le bon usage et l'accessibilité des antalgiques pour ne pas négliger la prise en charge de la douleur, selon le Pr Authier. Selon lui, 12 millions de Français recourent chaque année à une ordonnance remboursée d'un opioïde. Et, un médicament contre la douleur, «le tramadol est au premier plan en terme d'overdose et de décès par overdose ». Pour Albert Caporossi, patient-expert et vice-président de la FPEA, «Il y a beaucoup de choses à améliorer» comme de doter les services de secours (police, gendarmerie, pompiers) du spray. Il souhaite aussi qu'«un accord intervienne vite sur le prix des trois nouveaux sprays», qui remplaceront le Nalscue dont l'arrêt de la commercialisation en France a été annoncée pour 2020.

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Antalgique opioïde le plus consommé en France, le Tramadol entraînerait une baisse anormale du glucose dans le sang qui pourrait s'avérer très dangereuse. Explications.

02 sept. 12:12

Avec 12 millions de boîtes écoulées chaque année, le Tramadol est l'antalgique opioïde le plus vendu en France. Ce dérivé de l'opium est utilisé pour soulager les douleurs de modérées à intenses. Si ce médicament est déjà connu pour avoir certains potentiels effets secondaires indésirables comme des nausées, des convulsions, des troubles de la conscience ou encore des difficultés de respiration en cas de surdosage, il augmenterait de façon significative le risque d'hypoglycémie selon une nouvelle étude. 

Les chercheurs de l'Université de Californie à San Diego ont en effet analysé plus de 12 millions de rapports provenant du système américain de déclaration des effets indésirables sur la prise de Tramadol par des patients entre 2004 et 2019, et sont arrivés à cette conclusion :  "Nous voulions avoir une analyse objective de ses effets indésirables, et nous sommes tombés sur une hypoglycémie dangereuse, non répertoriée et inattendue", explique Tigran Makunts, auteur principal de l'étude. 

Un risque qui serait 10 fois plus élevé en comparaison avec les autres opioïdes analysés. Seule la méthadone, opioïde le plus  utilisé pour aider à sortir de la dépendance à l'héroïne, a un effet comparable.

L’hypoglycémie, qui se définit comme une baisse du taux de sucre dans le sang, touche principalement les personnes diabétiques. Néanmoins, le stress, un surplus d’activités physiques ou encore la consommation d’alcool peuvent aussi entraîner une hypoglycémie chez les individus non-diabétiques.

"S i elle n’est pas traitée, elle peut entraîner des complications graves, telles qu’un dysfonctionnement neurocognitif, une perte de vision, un risque accru de chutes et une perte de qualité de vie", alertent les auteurs de l'étude. Par ailleurs, rappelons, que l'aggravation d'une hypoglycémie peut aussi entraîner une perte de connaissance allant jusqu'au coma.

Si les chercheurs rappellent qu’il ne s’agit encore que d’une étude de corrélation, basée sur les déclarations d’effets indésirables des patients, ils soulignent qu'il reste important d'avertir la communauté médicale de la probabilité d’une hypoglycémie, en particulier si le patient est prédisposé au diabète.