l'appel du chien

Publié par ian-kemper le 21.05.2010
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Jonathan  a une passion amoureuse pour les tourterelles.
Je lui demande depuis quand, il me dit depuis toujours, dans sa famille d'adoption, son frère avait des tourterelles dont il était l'exclusif propriétaire, Jonathan en était très jaloux.
Il pourrait même les baiser si, techniquement, l'opération était plus aisée, me dit-il avec cet air jouissif et interrogateur que je lui connais bien et dont il me dispense quand il attend que je lui énonce des limites.
Alors je limite. En lui rappelant simplement, pas besoin de dire autre chose, qu'il est un être humain. Une piqure de rappel à Jonathan qui a longtemps cru qu'il était un chien.( Ca va devenir un zoo ce blog !) En effet, quand Jonathan était séquestré par un couple de pervers, un homme et une femme qui l'ont attaché, violé, battu pendant des mois, Jonathan jouissait de la baise, ou était terrorisé par la violence, par les coups au point qu'il pissait sur lui (et déféquait aussi probablement, mais ça il ne peut pas le dire, pas directement, il me raconte par contre qu'il a tué un chiot parce qu'il avait chié dans l'appartement), il pissait donc sur lui de terreur, il me raconte cela, je pissais sur moi, je suis un chien, les chiens pissent sur eux quand ils ont peur. Il est très étonné d'apprendre que les êtres humains en font autant, que la terreur peut faire pisser et déféquer n'importe qui, réaction physiologique liée probablement au désir de fondre, de disparaître matériellement pour que la terreur ne puisse saisir que du vide.
Depuis, il consent davantage à se raccrocher au radeau de l'humanité, les femmes ne sont plus forcément des femelles et il peut tomber amoureux d'un être humain, d'un homme. Bien sûr il n'est pas homosexuel (ce qui est certainement juste), il hait les homosexuels, en conséquence,  il l'aime en silence, il le vénère avec une souffrance secrète et belle qui efface, ou tout au moins met de côté, toutes les souffrances dégueulasses qu'on lui a fait subir.
Alors, il aime les tourterelles, il le clame haut et fort, il les aime au point de les manger, dorées à la friteuse, en période de disette. Sinon, il les dévore de baisers, de caresses de mots d'amour, elles sont habituées semble-t-il, se laissent attraper et triturer sans rechigner. Un lot de deux belles (il les achètent toujours par deux, mâle et femelle) profite un jour de la porte ouverte de la cage pour se tirer par la fenêtre, envolées, disparu les belles, Jonathan me raconte ça,  est désolé, pas trop, je le soupçonne d'un bon souper, le lui dis, il me rassure, il a de l'argent et à manger, me montre son frigo rempli de victuailles. Bon. 
C'est plutôt, finis-je par comprendre, que l'ami, dont il est secrètement amoureux et qu'il héberge, ne supporte pas le ramage des volatiles, alors l'inconscient faisant bien les choses, de porte en fenêtre ouvertes...
Les tourterelles lui manquent quand même, y a plus de tourterelles en magasin, il achète la dernière colombe, du pareil au même sauf la couleur, c'est Blanchette (devinez la couleur!), terrorisée la pauvre quand Jonathan veut l'attraper et la baiser d'amour, il la déteste en retour, me presse de lui trouver une famille d'adoption, je m'empresse, je crains le pire pour Blanchette.
Lui trouve à la SPA une colombophile qui dispose d'une immense volière arborée, je suis content pour Blanchette, le paradis après au moins le purgatoire.
Et aujourd'hui, je devais aller chercher Blanchette, l'emmener à La SPA, mais Jonathan a changé d'avis. Merde !
Impossible de joindre la SPA par téléphone, autre problème technique, j'y passe donc en rentrant du travail, c'est pas loin de chez moi, le chiens me font un accueil bruyant, un petit roquet merdeux me mord le mollet, tandis que les autres, plus intelligents, me déballent, à coups de remuements de queues et de jappements, leurs arguments pour que je les adopte. Je m'excuse du dérangement auprès de la charmante colombophile et dévouée à la cause animale.
En repartant, je refermais la porte de l'enclos, j'ai capté un aboiement qui m'a interpellé, je me suis retourné, comme si on avait crié mon nom, il y avait tout au fond du terrain, derrière une clôture de grillage, un gros chien noir et blanc, genre je ne sais pas quoi, je m'en fous, avec une bonne gueule de bon chien, qui me fixait intensément en aboyant, qui me racontait plein de choses, j'ai pensé en l'écoutant que les choses telles qu'on les voit ne sont peut-être qu'apparences, que la réalité est peut-être toute autre, j'ai aperçu, durant une fraction de seconde,  une autre réalité qui s'est aussitôt effacée dans les larmes qui sont venues noyer mes yeux et mon esprit.
Elle est curieuse cette histoire, non ? Elle a débuté dans un dialogue avec un humain qui se prend pour un chien et se termine dans un dialogue avec un chien. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Commentaires

Portrait de ian-kemper

je voulais dire, elle a débuté dans un dialogue avec un humain qui se prend pour un chien qui pleure et se termine dans un dialogue avec un chien qui me fait pleurer.
Portrait de filigrane

Décidément, Ian je trouve vraiment très très belle cette chronique, cette variation sur une rencontre avec la déraison. Je me souviens aussi de ton texte sur la destinée de cette famille de voisins. S'y expriment la finesse de ton regard (sans doute aiguisé car ton savoir faire professionnel), ton humour (dans ce texte-ci), et puis la corde personnelle qui vibre. Bravo l'artiste. 
Portrait de ian-kemper

en tout cas je découvre le plaisir de faire l'effort d'écrire, moi le très paresseux. Et si en plus le résultat est plaisant, la vie est belle.  Ian