L'univers entier est une perle brillante.

Publié par ouhlala le 21.01.2012
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   Je voudrais partager mon admiration pour Dogen (1200-1253), un auteur bouddhiste japonais.

   Le Shobogenzo (l'Oeil du Trésor de la vraie Loi) est une compilation de ses textes. Il a introduit le zen au Japon, ramené d'un voyage en Chine (le bouddhisme existait déjà au japon mais sous des formes différentes).

   On trouvera en commentaires des extraits et commentaires de deux chapitres du Shobogenzo, Ikka no myoju (l'univers entier est une perle brillante), et Uji (être-temps).

   Dans la première partie (l'univers est une perle brillante), les extraits du Shobogenzo sont en gras et italiques, les commentaire de Taisen Deshimaru sont en caractères normaux.

   Taisen Deshimaru (1914-1982) est un moine bouddhiste japonais, disciple de Kodo Sawaki, de la lignée de Dogen (Zen soto). Arrivé en France en 1957, son enseignement s'est répandu largement et ses disciples sont à l'origine de l'Association zen internationale, qui compte des centaines de dojos en Europe. C'est l'un des principaux introducteurs du bouddhisme en occident.

   Enfin, le titre Shobogenzo fait référence au dernier sermon donné par Sakyamuni. Au cours de cet enseignement, il se contenta de sourire en faisant tourner une fleur entre ses doigts. Seul son disciple Mahakasyapa eut la compréhension de ce geste et lui adressa un sourire en retour. Le sourire de Mahakasyapa. Ce sermon est considéré comme l'essence et le coeur de l'enseignement du Bouddha. 

Le Shobogenzo est disponible maintenant dans de nombreuses traductions. Les extraits et informations de ce billet proviennent de :

Le trésor du zen. Texte de maître Dogen commenté par Taisen Deshimaru. Albin Michel Spiritualités vivantes, 2003.

Shobogenzo-uji. Eido Shimano et Charles Vacher. Encre marine, 1997.

Les maîtres du zen au Japon. Masumi Shibata. Maisonneuve et Larose, 1995. 

Commentaires

Portrait de ouhlala

Ikka no myoju

  • Gensha avait été pêcheur durant de longues années, et n'avait jamais vu aucuns des volumineux sutras ou commentaires, pas même en rêve. Mais il plaça sa résolution fervente au-dessus de tout, et par sa forte détermination, surpassait tous les autres moines. Gensha portait toujours la même robe simple, rapiécée de toutes parts; en dessous il se couvrait de vêtements faits de papier ou d'armoise. Son seul maître fu Seppo, et il ne dévia jamais du dharma de son maître.
  • Après qu'il eut atteint la Voie, il se servait de cet énoncé pour expliquer l'enseignement bouddhique : "L'univers entier est une perle brillante."
  • Un jour un moine lui demanda : "J'ai entendu dire que vous enseignez que l'univers entier est une perle brillante. Comment devons-nous interpréter cela ?' Gensha lui dit : "L'univers entier est une perle brilante. Qu'y a-t-il à interpréter ou à comprendre ?"
  • Le lendemain ce fut Gensho qui questionna le moine : "L'univers entier est une perle brillante. Quelle en est votre compréhension ?". Le moine répondit : "L'univers entier est une perle brillante. Qu'y a-t-il à comprendre ?

Un jour gensha dit à un moine -par la suite, cette phrase devint célèbre dans les annales du Zen :

  • "Tu te débats pour te libérer dans la caverne des démons de la montagne noire. Moine, tu n'as pas pu comprendre que tout l'univers est une perle brillante. Tu as un peu compris mais pas vraiment... Tu penses d'une manière intellectuelle; tu es empêché, par ta pensée, d'avoir la véritable compréhension, intime et sans limite. Tout est une perle brillante, même l'antre des démons de la montagne noire."
L'antre du démon de la montagne noire, ce sont les illusions et les passions nées de la pensée, de la scission sujet-objet, de la dualité. De nos jours, chez la plupart des gens, le cerveau est l'antre du démon de la montagne noire; ce moine n'est pas le seul à se débatre ainsi, c'est l'éternel combat de l'homme pour échapper, pour se libérer de l'enfer, et rendu plus aigu de nos jours du fait de la voie sans issue qu'à empruntée notre civilisation. On veut être heureux, intelligent, comprendre... mais on recherche dans l'enfer. Une telle attitude ne peut créer la vraie sagesse. En conclusion, Dogen dit :
  • Comment peut-on utiliser cet antre du démon de la montagne noire ? La caverne du démon de la montagne noire peut aussi être une perle brillante. Ton cerveau lui-même est une perle brillante. Ton esprit lui-même est une perle brillante, même la grotte du démon de la montagne noire."
Comment changer ? Par hyshiryo (la pensée sans pensée), à travers zazen. Dans la vie quotidienne, notre cerveau est toujours la caverne du démon de la montagne noire. En faisant zazen, on devient une perle brillante. " Qu'est-ce que l'univers entier ? Tout le cosmos ?" L'affirmation de Gensha que l'univers entier est une perle brillante signifie que l'univers n'est pas limité par les notions de vaste ou de petit, de large ou d'étroit, de carré ou de rond, ni par le centre, ni par le macro, ni par le micro ; il n'est ni sans vitalité, ni sans brillance. Lorsqu'on transcende ces formes l'univers émerge. Il n'y a ni vie, ni mort, ni aller, ni demeurer. C'est pourquoi la passé a disparu et le présent s'actualise lui-même. Quant à sa signification ultime, qui peut la limiter au mouvement continuel de la vie et de la mort d'une part, de l'immobilité de l'autre ? Quand le moine posa la question sur "l'univers entier", il semblait y avoir une idée de subjectivité et d'objectivité. mais en réalité il existe un continuum sans fin. Telle est la philosophie de Dogen sur le cosmos, sur l'univers entier; le microcosme est la totalité du cosmos. Et pour Dogen il n'y a pas de séparation entre microcosme et macrocosme.
  • Tout est le cosmos. Une perle brillante exprime la réalité sans la nommer réllement; c'est le nom de l'univers.
Elle contient le passé inépuisable existant à travers le temps et parvenant jusqu'au présent. Dans le présent existent corps et esprit qui sont la perle brillante. Un brin d'herbe, les arbres, les rivières de ce monde ne sont pas seulement ce qu'ils sont, ils sont la perle brillante. Notre esprit est sans cesse en mouvement ; il devient souvent la grotte du démon de la montagne noire.
Dans la civilisation moderne, la plupart des gens sont en enfer ; et, souffrant, ils font des plans, rêvent à un futur meilleur; mais c'est maintenant qu'il faut agir, transmuter notre enfer en perle brillante, non pas en chevauchant le cheval du voleur, comme le font la plupart des gens ; on ne peut se libérer de l'enfer des malaises et des insatisfactions en attisant le feu des désirs. Les gens veulent devenir libres dans l'enfer.
Le bouddhisme mahayana s'est toujours refusé à toute discussion relative aux questions métaphysique ou ontologiques, tels les problèmes de l'existence ou de la non-existence, du devenir, du limité ou de l'illimité, de l'immanence ou de la transcendance, etc. Car ce genre de discussion a toujours été considéré comme stérile et, de ce fait, puéril ; le bouddhisme mahayana a toujours réfuté le dualisme, produit de notre forme mentale, limitée par l'espace-temps, mais prône l'unité de toute choses, réalisable par la transcendance de la pensée au moyen de la méthode pratique de la méditation hishiryo (la pensée sans pensée harmonisée au cosmos, zazen). (...)
  • Aussi la pratique de zazen ici et maintenant engendre-t-elle l'acte potentiel infini qui se répercute ici et maintenant, à travers tout le cosmos, et cet acte est perpetué pour l'éternité. L'éternité s'actualise dans l'ici et maintenant de chaque action. (...) 
Portrait de ouhlala

  • La seule chose qu'on puisse dire c'est que l'univers est une perle brillante, pas deux ni trois.
  • La perle brillante est l'oeil du shobo, de la vraie Loi, du vrai Dharma.
  • Cela est révélé dans cette unique expression. le corps entier esr la lumière divine de l'esprit universel. Une perle brillante est le corps tout entier. Il n'y a pas d'obstacle en elle, ronde et tournant sans fin, elle est partout. (...)
  • Lorsque le moment est venu, l'essence de la perle peut être saisie. Elle est suspendue dans le vide, cachée dans la doublure du vêtement, trouvée sous le menton des dragons, et dans la couronne des rois. cette perle est toujours à l'intérieur de nos vêtements, à l'intérieur de nous-mêmes, dans notre nature réelle. Ne pensez pas à la mettre en surface. Elle doit demeurer dans les couronnes et sous les mâchoires. (...)
Il en est toujours ainsi dans notre vie ; enfermés dans la caverne des démons de la montagne noire, nous soumettons tout à l'exiguïté de nos catégories, optant pour un côté et rejetant l'autre. Nous possédons la perle brillante. Nous sommes nous-mêmes la perle brillante, mais par notre aliénation, notre attachement à la petitesse, nous refermons sur la perle brillante la caverne des démons de la montagne noire.
Pendant zazen, toutes ces petitesses qui font que, dans la vie, nous nous agitons en tous sens peuvent se détacher de nous et tomber, comme bois mort, comme une carapace usée.
  • Ne chérit-on pas la brillance infinie de la perle brillante ? Qui peur surpasser la vertu irradiante de cette perle brillante qui couvre l'univers ?
Faire zazen, c'est redevenir une perle brillante. Tout est une perle brillante, toutes les existences ; mais par notre karma nous tombons dans l'antre du démon de la montagne noire. Par le karma passé, par le karma d'avant notre naissance, par le karma de notre éducation, par celui de l'école, de l'université, de l'environnement social. Mais l'antre du démon peut devenir une perle brillante. C'est zazen.
  • Comment est-il possible de doouter que la vie et la mort sont aussi la perle brillante? Que nous soyons perplexe ou tourmenté, il n'y a rien d'autre que la perle brillante.
De cette regression ou de cette progression dans la caverne dépend le devenir de la brillance de la perle.
Notre corps est la montagne noire, notre cerveau la caverne des démons. La perle y demeure, et zazen la fait briller. Notre corps et notre esprit deviennent la perle brillante, le corps et l'esprit de Bouddha ou de Dieu.
Que l'on entre ou que l'on sorte de la caverne, la perle demeure ; toutefois son eclat ne peut apparaître qu'à la lumière lorsque les rocs de la caverne se sont effondrés.
 

Portrait de ouhlala

Shobogenzo-uji

Concerne notre rapport au temps. 

 

Par moments se dressant au sommet du plus élevé des pics, être temps.

Par moments marchant au plus profond des océans, être temps.

Par moments à trois têtes et huit coudes, être temps.

Par moments de seize ou huit pieds de haut, être temps.

Par moments un bâton de moine, un chasse-mouches, être temps.

Par moments un pilier, une lanterne de pierre, être temps.

Par moments, M. Chang ou M. Li, être temps.

Par moments la terre entière et les vastes cieux, être temps.

Portrait de ouhlala

                               
 
                      
 
Portrait de Nadicar

...reçu en partage.

Merci

Portrait de ouhlala

Toutefois, la vérité de cet hier et aujourd'hui se révéle simplement au moment où, entré droit dans la montagne, je vois autour de moi les mille et dix mille pics.

Grand écart.

Dans l'annihilation complète, je dis : "Ô roi des rois,

Toute les images ont fondu dans ce feu !" Mais il dit :

"Tes paroles sont encore un reste de cette neige.

Tant que demeure la neige, la rose rouge est cachée".

Rumi (1207-1273) 

Portrait de concombremasqué

j'avais lu le nom de  Dogen dans plusieurs livres de Taisen Deshimaru, sans avoir fait trop de recherche encore à son sujet.


Portrait de ouhlala

de voir resurgir ce petit billet trois ans après ! Bien content de t'offrir ce petit aperçu d'un texte de Dogen, commenté par Deshimaru...

Je trouve que la perle brillante est infiniment poétique, inspirante et remarquable pour un texte du 13è siècle. Du point de vue du bouddhisme originel, peut-être trop... Emotion poétique, enchantement du monde, exaltation... alors que l'essence de la pratique, dans le théravada, vise à clore toutes les portes sensorielles, intellect compris, et à renoncer à toute saisie, c'est la première étape. Les courants tardifs du bouddhisme ont ajouté leur tonalité mahayaniste ou vajrahyaniste, à savoir un galimatias inutile certaines pratiques douteuses et quelques idées intéressantes comme celle de ne pouvoir se sauver seul ou individuellement, ou celle de l'identité entre l'enfer et le paradis, pour faire court, qui fait que cesser ou sortir du monde des phénomènes (technique, porte d'entrée des jhãnas, états béatifiques du bouddhisme originel un peu passés à la trappe dans ses développements ultérieurs) ne sont plus des objectifs en soi. Il me semble quand même que le zen soto est le plus proche du bouddhisme originel, même s'il se pratique les yeux ouverts, en voyant tout, bien que ne regardant rien... Cool  Mais le zen a peut-être un peu de mal à dépasser zazen... Je crois qu'il ne faut pas trop chercher à la discerner mais devenir soi-même la perle.

Est-ce que tu pratiques ? Tourner autour (de la pratique) c'est déjà un bon début Smile Pour ma part j'ai toujours du mal à pratiquer ... un peu attaché à ma caverne obscure, et pourtant chaque méditation est une expérience unique et passionnante. Le coussin de méditation est au centre de la pièce, et du monde, et ma vie tourne autour, même s'il prend parfois la poussière... Le coussin c'est très formel, efficace, mais la perle est partout !



Portrait de ouhlala

Tu cesses

Il médite

Portrait de concombremasqué

Je me suis mis que très récemment à la lecture de certains livres que j'avais dans ma bibliothèque depuis presque 20 ans sans même soupçonner que c'est livres étaient des petits trésors.

Depuis mon déménagement, au mois de février de cette année, je m'y suis intéressé.

« Zen et Arts Martiaux » , Taisen Deshimaru, que relis pour la deuxième fois et qui deviens un de mes livres de chevet.

Pareil pour « Satori, dix ans d 'expérience avec un maître Zen » de Michel Brosse, je dois avouer que je n'ai pu le finir. Le récit et rempli de souffrances physique (et ça m'a fatigué et quelque peu inquiété de savoir toutes ses souffrances).

« Esprit Zen esprit neuf » de Shunryu Suzuki.

Voici un an que je vais voir une personne qui pratique le shiatsu(sur moi). Elle m'a enseigné la posture Zazen, il y à peu. Les débuts ont étés dur, pour trouver mes marques et me faire à cette idée, depuis septembre (à peux près) je pratique seul chez moi avec une couverture que j'ai pliée de façon à être correctement assis. Le 2 novembre j'ai fait ma première Sesshin, nous étions seulement 5, et j'ai vraiment apprécié.

J'ai hâte d'aller au « DOJO ZEN D'AVIGNON »

Portrait de ouhlala

C'est super, le dojo c'est un passage obligé, j'aurais besoin d'être soutenu et ne pas méditer seul mais j'ai renoncé à la postore ad hoc, devenue trop difficile pour mon squelette (quoique le zen pratiqué au japon est une vraie torture, sans comparaison avec ce qui se passe dans les dojos occidentaux)... c'est bien de s'impregner le plus possible d'une technique particulière mais heureusement la posture est très secondaire voire ignorée dans le théravada, il n'y a que pour vipassana dont l'objet de méditation est le souffle et la respiration que s'assoir en tailleur est nécessaire... 

Sujet intarissable, à suivre...